Pour avoir aimé la terre

Pour avoir aimé la terre – que suit une courte autobiographie – est une ode à la liberté et aux hommes, aux espérances qu’ils portent et qui les portent, dans ce récit, il livre son testament spirituel. Écrit peu avant sa mort, ce texte lumineux, vibrant est avant tout un acte de résistance d’un homme généreux contre les tyrannies de tout ordre.


Format : 10,5 x 15

Nombre de pages : 64 pages
ISBN : 978-2-84418-315-6

Année de parution : 2015

6,00 

Catégorie :
Pour avoir aimé la terre…
réflexions en marge 
de mon refoulement d’Egypte

J’ai envie de croire qu’à la minute où je suis venu au monde, mon premier geste a été d’embrasser la terre. Là-bas, dans le hameau de Baldovinesti, sur l’embouchure du Sereth, la terre a sûrement dû se fourrer en moi, avec la violence de l’amour. Toute la terre ! Toutes ses beautés !
Le soleil, d’abord, cette merveille, a dû m’enflammer le regard. Oncle Dimi jouait peut-être de son inséparable flûte, dehors, sur la prispa, pendant que le gros Léou, irrité par ce jeu, donnait la chasse aux rats. Quelque éblouissante nagâtsa des marais voisins, curieuse, audacieuse comme elles le sont tou­tes, est peut-être venue briser son vol contre la vitre et imprimer sur ma rétine son œil bleu à l’appel irrésistible. Il se peut aussi que Lina l’amoureuse ait fait irruption dans la pièce, avec des rires et des larmes et disant à ma mère que ses parents l’ont de nouveau battue pour s’être, il y a longtemps, donnée à son Toudor. Et qui sait si, le matin suivant, le hameau n’était pas tout entier debout, avec vaches, pourceaux et poulaillers, prêt à fuir « le Sereth qui dévale sur nous au galop » ? L’inondation !
Alors, devant l’inquiétude de ma mère, j’ai dû crier des yeux :
– Mais allons-nous-en !
Et nous sommes allés bâtir nos huttes sur le plateau de Brǎila, que les nagâtsa survolaient, espiègles, nous faisant le pied de nez.
Plus tard, quand je pus marcher en m’appuyant sur le dos de Léou et réussis à aborder le vaste Baragan, quelque chose de terriblement nouveau a dû me frapper le cœur : sous le soleil couchant, un paysan courbé sur sa glèbe : près de lui, un homme à cheval, vociférant ; et, de temps en temps, un gârbaciu cinglant les reins du laboureur. (Excusez-moi : je ne fais pas de la sédition ; cela se passait réellement ainsi.)
Par la faute de la terre ! C’est elle qui en était la cause, elle, si belle ! Alors je l’ai promptement haïe, mais peut-on haïr la terre ? Le peut-on, surtout à l’âge où on l’aborde en marchant appuyé sur le dos d’un chien ?
Aussi, amour et haine, inhumainement accouplés dans mon trop jeune cœur, me firent-ils faire une maladie, à force de n’y rien comprendre. Puis j’ai compris. Mais si je commence à vous expliquer cela, vous direz que je suis un homme désagréable. On devient, paraît-il, désagréable, dès qu’on trempe sa plume dans le sang de sa révolte. Pour être sublime, l’art exige la lâcheté et l’égoïsme irréprochables, ou, tout au moins, demande-t-il à l’artiste de ne considérer la souffrance humaine que comme une matière à inspiration objective.
Je ne le savais pas.
Batelier fou sur le fleuve de la Passion, je passe ma vie à vouloir rapprocher la rive de l’amour de celle de la haine, convaincu que
Dieu a mal pétri sa glaise le jour où il a construit l’homme. C’est cela que je suis. Et longtemps, ma primitive embarcation a vogué ina­perçue, engloutie par les remous, prête à chavirer. Je voulus bien admettre que c’était là mon destin.
Mais non ! À un dangereux tournant, comme je surgissais couvert d’écume sanglante, un sorcier me barra la route et m’offrit une magnifique caravelle :
– Assez de ténèbres ! Va, en pleine lumière, à la vue du monde !
J’embrassai la main du sorcier et le pavillon de la caravelle :
– Merci ! Il faut donc que je continue ?
– De plus belle !
– Ce sera, alors, comme ce fut jusqu’ici : pour le monde !
Le sorcier avala un sourire amer :
– Bien entendu, mon enfant !
Et il plongea dans les flots.
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L’admirable, la séduisante, la trompeuse littérature ! Tout est littérature !
Mais je m’aperçois que j’ai abandonné le fils de mes réflexions. Permettez-moi de revenir
à Baldovinesti.

Poids 90 g
Auteur

Istati Panaït

Éditeur

Collection La Petite Part