Celtisme et romantisme

Celtisme et romantisme, deux mots  ? Mieux, deux héros  ! Cet essai suit leurs aventures dans l’Europe du XIXe siècle où se croisent Chateaubriand, Hersart de la Villemarqué, Victor Hugo, Ernest Renan et beaucoup d’autres. Retraçant les temps forts de cette histoire captivante, inattendue parfois, l’auteur cherche à comprendre l’origine de cette exceptionnelle force poétique qui habite la Bretagne, à laquelle cet ouvrage rend un bel hommage.

Format : 12×17
Nombre de pages : 128 pages
ISBN : 978-2-84418-247-0

Produit épuisé

Année de parution : 2012

Catégorie :
I
Les mots et les hommes

Dans les années 1830, Abergavenny, petite cité minière en plein essor, située au nord de Cardiff, longée par la rivière Gavenny, pouvait être considérée comme l’un des foyers actifs de la vie culturelle du Pays de Galles, un des berceaux de la légende arthurienne1. Agitée depuis quelques années par les convulsions de la révolution industrielle, la capitale se transformait à belle allure.
Cardiff était en passe de devenir le premier port d’exportation charbonnière de tout le Royaume-Uni. Le progrès renforçant par contrecoup le désir de patrimoine, on organisait régulièrement à Abergavenny les traditionnelles Eisteddfodau, des joutes littéraires.
Ces jeux floraux, où le poireau remplaçait la violette, le souci et l’églantine des jeux de Toulouse, rassemblaient des poètes invités à concourir sur des thèmes qui reflétaient assez les préoccupations du temps : comparaison entre la musique irlandaise et la musique galloise, ou bien encore influence de l’industrie minière sur les mœurs du Pays de Galles. C’est autour de ces questions qu’eurent lieu en octobre 1838 les premières rencontres interceltiques2 auxquelles on avait convié quelques représentants du continent voisin.
Au faîte de sa gloire, Alphonse de Lamartine (1790-1869) avait été sollicité parce qu’on le savait proche de cette région du Royaume-Uni depuis son mariage célébré en 1820 avec la britannique Mary-Ann Birch (1790-1863).
Si la grande figure du romantisme français déclina l’invitation, un de ses amis, Louis Jacquelot du Boisrouvray, présent parmi le groupe des sept Français qui firent le déplacement, était parvenu à le convaincre de rédiger une pièce en vers qu’il se chargerait de lire au cours du dîner de clôture.
Lamartine s’exécuta et lui confia un Toast porté dans un banquet national des Gallois et des Bretons à Abergavenny dans le pays de Galles. Et le résultat ne manquait pas du souffle attendu :

Reconnaissons-nous donc, ô fils des mêmes pères  !
Le sang de nos aïeux, là-haut, nous avouera.
Que l’hydromel natal écume dans nos verres,
Et poussons dans le ciel trois sublimes Hourra :
Hourra pour l’Angleterre et ses falaises blanches !…
Hourra pour la Bretagne aux côtes de granit !
Hourra pour le Seigneur, qui rassemble les branches
Au tronc d’où tomba le vieux nid !

L’enthousiasme des deux cents convives s’imagine sans peine. Ces vers déclamés le 9 octobre 1838 dans ce banquet de la Société Kymérique durent ravir – du moins on peut l’imaginer – tout spécialement les membres de la délégation bretonne composée, outre Louis Jacquelot du Boisrouvray, de Hersart de la Villemarqué (1815-1895) chargé pour l’occasion d’une mission par Louis-Philippe, et quelques autres écrivains fort oubliés aujourd’hui. De plus importants, tels Auguste Brizeux (1803-1858) ou Jean-François le Gonidec (1775-1838), quoique invités, renoncèrent à se rendre Outre-Manche. Ces derniers devaient pourtant jouer un rôle non négligeable, chacun à sa manière, dans l’invention et la propagation du « celtisme » encore innommé.
Bien que le texte de Lamartine n’ait pas été au cœur même de cet Esteifodd, sa présence, somme toute inattendue en un tel lieu, revêtait sans aucun doute un caractère hautement symbolique. Les accents du poème, la ferveur celtique dont il faisait montre ne pouvaient guère manquer leur but. On ne lut pas l’intégralité du poème sans doute parce que son propos débordait, et largement, les limites imprécises du territoire celte et le cadre de l’assemblée galloise. Cependant, l’œuvre marquait un temps fort dans la circulation des idées à cette époque et incitait, discrètement, les participants à prendre une distance avec la rencontre poétique galloise afin, qui sait, d’en élargir la portée et la signification.

Poids 101 g
Auteur

Bazantay Pierre

Éditeur

Collection La Part Classique