Autoportrait

Si la postérité s’est forgé une image un peu éthérée de l’écrivain libanais, il ressort de ces quelques soixante lettres échelonnées sur les trente dernières années de sa vie, une personnalité plus complexe, et plus concrète aussi. On découvre ainsi, comme on avait déjà pu le faire à travers certains de ses textes « politiques » réunis dans Mon Liban, qu’il fut un ardent défenseur de son pays, engagé dans tous les grands mouvements intellectuels syro-libanais aux États-Unis.
Le portrait qui se dessine à travers ce choix de lettres inédites est celui d’un artiste en proie aux affres de la création, selon la formule de Flaubert, tiraillé entre deux langues, l’arabe et l’anglais, deux mondes, l’Orient et l’Occident, deux femmes aussi, Mary et May. Mais on y voit surtout un écrivain habité par son œuvre, traversé par une inspiration quasi mystique. Loin d’être la figure du sage que pourrait laisser croire Le Prophète, on découvre un homme capable de terribles colères, un amoureux platonique perpétuel, un ami extrêmement fraternel, un homme très tôt rongé par la maladie, une intelligence poétique suraiguë. Gibran, dépositaire d’une tradition séculaire, fut pourtant bien un homme de son temps, et à certains points de vue, un précurseur.


Format : 12×17
Nombre de pages : 160 pages
ISBN : 978-2-84418-166-4

 

Année de parution : 2009

14,00 

Catégorie :

A son père

Beyrouth,
5 avril 1901

Cher Père :

J’ai bien reçu ta lettre dans laquelle tu me fais part de tes inquiétudes au sujet de « nouvelles tristes et inattendues ». J’aurais ressenti la même chose si je n’avais pas connu le but de cette lettre et les intentions de son auteur. On (puisse Dieu leur pardonner) te dit dans la lettre qu’une de mes sœurs est gravement malade, et on te dit aussi que cette maladie va coûter extrêmement cher, et qu’il sera difficile à mes sœurs de t’envoyer de l’argent. J’ai immédiatement trouvé une explication quand j’ai remarqué que la lettre avait été écrite le premier jour d’avril. Notre tante a l’habitude de ce genre de plaisanteries inoffensives. Dire que ma sœur est malade depuis six mois est aussi éloigné de la vérité que nous le sommes de notre tante. Au cours des sept derniers mois, j’ai reçu cinq lettres de Mr. Day qui m’assure que mes deux sœurs, Mariana et Sultana, sont en excellente santé. Il ne tarit pas d’éloges sur elles, soulignant les bonnes manières de Sultana, et parle de la ressemblance entre elle et moi tant au physique que sur le plan du caractère.
Ces propos proviennent de l’un des hommes les plus honnêtes que j’aie jamais connu, d’un homme qui déteste les Stupides plaisanteries d’avril et qui déteste tout ce qui est susceptible de peiner le cœur d’autrui. Tu peux être rassuré, tout va bien, ne te ronge plus les sangs.
Je suis toujours à Beyrouth, bien que je risque d’en être absent pour un mois, en voyage en Syrie et en Palestine ou bien en Égypte et au Soudan avec une famille américaine pour laquelle j’éprouve le plus grand respect. C’est pour cette raison que j’ignore combien de temps mon séjour durera à Beyrouth. Toutefois, je suis ici pour mon bien personnel, ce qui m’oblige à rester dans ce pays quelque temps afin de faire plaisir à ceux qui se préoccupent de mon avenir. Ne doute jamais de mon aptitude à juger de ce qui est bon pour moi et de ce qui renforce et améliore mon avenir.
Voilà tout ce que j’ai à te dire – avec toute mon affection pour mes parents et amis, et mes respects pour tous ceux s’enquièrent de moi. Puisse Dieu prolonger ta vie et te protéger –

Votre fils,
Gibran

À Frederik Holland Day

12 mars 1903

Mon cher frère a franchi le seuil de l’au-delà à trois heures du matin, en nous abandonnant à une profonde tristesse et en nous laissant le cœur brisé. Je ne puis que consoler ma mère souffrante ; Mariana, elle et moi scrutons les ténèbres de l’avenir.

Gibran

À Frederik Holland Day

29 juin 1903

Ma mère ne souffrira plus jamais ; quant à Mariana et moi, ses malheureux enfants, nous continuons de souffrir et nous mourons d’envie de la revoir. Écrivez-moi et bénissez-moi, cher frère.

Gibran

À Frederik Holland Day

20 août 1903

Me voici de retour à la maison cher frère, me voici plongé dans les ténèbres, loin des pins et de l’océan, de la verdure et de l’azur. J’avais l’impression d’être dans un rêve.
Pendant le voyage du retour, je suis resté éveillé toute la nuit. Je suis resté sur le pont, à contempler les étoiles.
Vous ne pouvez imaginer le choc que j’ai ressenti quand j’ai pénétré dans ma chambre habitée par le vacarme de la voie de chemin de fer, après m’être si bien habitué à la quiétude de Five Islands.
Je crains d’avoir pris quelques kilos, malgré tout ; et je me sens en revanche plus vigoureux que par le passé.
Pensez à moi, cher frère, quand les vagues caressent les rochers, tandis que les pins leur tendent les bras.
Gibran

Poids 101 g
Auteur

Gibran Khalil

Éditeur

Collection La Part Classique