Description
Les feux isophases
Au début du voyage, il y a un phare. Imperturbable, soixante et onze mètres au-dessus de l’eau, salée, écumeuse. Deux générations en dessous du ciel. Elle. Griffée un lundi premier d’hiver humide, dans une petite ville mouillée d’un bout d’Ouest. Fades façades et fantômes. Petite bourgeoisie de pacotille. Elle se faufile et glisse entre le clapotis de l’eau, dans le claquement des mâts. Lente berceuse entêtante. Opportunisme des saisons. Elle s’allonge, culture en soute, solitude en bagage. Engraissée aux mots. Souvent elle se cogne. À vif, les griottes tombent des biscottes au fond du bol de chocolat. Alors elle s’absente. Le vent souffle. De la chevelure pieuvrante à l’air libre, aux pieds juste posés sur la surface sableuse. L’iode rougit les joues, entre par les pores et prend la tête enfin, le corps entier. À son anniversaire, son père lui offre un dictionnaire. Elle trempe ses mouillettes dans le jaune. Elle découvre certains de ses miroirs. Ils l’accompagnent. Elle fait de ses prunelles des confitures. Il n’y a pas de mot pour un autre. Alors souvent elle se tait. Parfois son être est un ailleurs. Elle est au dehors, enfermée dehors. Nue.
Elle tombe d’un homme. Tic. Elle ouvre sa fenêtre. Elle attache ses cheveux. Les frontières disparaissent en pointillés. Elle touche les limites raisonnables. Faramineux remue-ménage. Qu’y a-t-il au-delà des couches de poussières ? Il lui donne des cartes mais pas de jeu. Ondes courantes d’air. Rigueur du détail. La radio la traverse. Le sommeil l’a oubliée. Dehors est devenu un supplice. Il faut pourtant partir où elle pourra risquer la vie. Ses affaires sont prêtes. Elle boit son eau. Elle éloigne l’inconséquence de ses gestes. Un sac aura suffi. Une autre guerre se joue dont elle n’a pas conscience. Faisceaux imaginaires. Au jour trop tard. Tac. Rien ne sera plus comme avant. Elle relève la tête, en morceaux. Elle connait désormais la folie du jour. Ses racines poussent et prennent ancrage. La pudeur vient. Les heures passent autour de la mappemonde illuminée. L’instinct aiguillé. Elle se rapproche du centre. Elle se mûrit de chaque seconde. Il y a peu de repos. Le travail ne s’arrête jamais. Le ciel mène à l’essence. À ce moment de l’histoire, c’est une jeune femme sans âge. Et dans son corps, le sémaphore.Je n’ai pas de conversation. Je n’en aurai jamais. Je n’en veux pas. Enfant, j’ai seulement appris à réagir. éduquée à l’inessentiel. Alors je désapprends. Ce soir je peux planter mes yeux dans tes paupières fuyantes. Fini ce soir les à la ligne du poème. Fini ce soir la culture du passé. Les fuites reviennent vite, mais en conscience. Les mains sur le visage chassent une fatigue ancienne. Je sais que cette nuit je ne dormirai pas. Les mains chassent les cheveux en arrière. Lorsqu’elles arrivent sur le front, je sens une petite douleur, bosse récente, quand la tête toucha la pierre. Roche du pays brumeux, caillou d’une terre balayée par la mer. Pas de retour en arrière, pas de perspective. Les nèfles sont déjà blettes. Voilà où nous en sommes. Certitude, constat et la bouche se pince. Larmes aux yeux auxquelles vous n’accorderez rien. Encore moins le regard. Quand elle boit une gorgée, l’œil tombe sur l’interstice d’entre les poutres. Ce vieux crépi repeint. Connaître la finitude, le reste est un cadeau. Parfois méprisant. Même pas peur. Elle reprend un verre. Parfois elle cherche un mot. Limbes. Il échappe. Froid. Monte chercher une laine. Se croise dans le miroir de la porte. Elle ne se dit rien avec le front dégagé. Avec les cicatrices nombrables. Une lui barre la joue. Le gilet de ta mère est toujours là. J’enfile. Pierrette. Tes projections et mon amour. Avale une gorgée qui fait sentir le bout. La langue. Aller pisser. Tirer la chasse. Relever le loquet. Toute la vie n’y suffira pas.