Œuvres choisies

Sara Teasdale (1884-1933) est une figure majeure de la poésie américaine du début du XXe siècle. Elle s’inscrit dans une longue lignée de poètes féminins, d’Anne Bradstreet à Louise Glück et Denise Levertov, en passant par Emily Dickinson, Elizabeth Bishop et Anne Sexton. Son œuvre, intime et universelle, célèbre la vie dans ses dimensions les plus sublimes et les plus modestes. À une époque de dessèchement, son chant vivifiant apparaît comme un remède au prosaïsme ambiant qui étouffe dans l’œuf tout ce qui ressemble de près ou de loin à un élan lucide du cœur. Ce choix de 60 poèmes en édition bilingue offre un panorama unique et majoritairement inédit en français de sa création entre 1907, année de parution de son premier recueil, et 1933, année de sa mort.


Format : 12×17
Nombre de pages : 156 pages
ISBN : 978-2-84418-401-6

Année de parution : 2020

14,00 

Catégorie :

Sonnets à Duse et autres poèmes 1907

 

The Gift

What can I give you, my lord, my lover,
YWhat can I give you, my lord, my lover,
You who have given the world to me,
Showed me the light and the joy that cover
The wild sweet earth and the restless sea ?

All that I have are gifts of your giving…
If I gave them again, you would find them old,
And your soul would weary of always living
Before the mirror my life would hold.

What shall I give you, my lord, my lover ?
The gift that breaks the heart in me :
I bid you awake at dawn and discover
I have gone my way and left you free.

Le Don

Que te donnerai-je, mon seigneur, mon amant,
Qui m’a plus que comblée, et puis m’a révélé
La lumière et la joie qui recouvrent la terre
Généreuse, indomptée, et la mer bouillonnante ?

Tout ce que j’ai, c’est toi qui me le donne…
Te le rendrais-je, tu le jugerais fané,
Et ton esprit serait bien las d’être à jamais
Face au miroir qu’alors serait ma vie.

Que te donnerai-je, mon seigneur, mon amant,
Sinon ce cadeau qui me déchire le cœur ?
J’offre, qu’à l’aube, tu te réveilles et constates
Que j’ai suivi ma voie, rendu ta liberté.
Dead Love

God let me listen to your voice,
And look upon you for a space ;
And then he took your voice away,
And dropped a veil before your face.

God let me look within your eyes,
And touch for once your clinging hand,
And then he left me all alone,
And took you to the Silent Land.

I cannot weep, I cannot pray,
My heart has very silent grown,
I only watch how God gives love,
And then leaves lovers all alone.

 

Amour défunt

Dieu m’a donné d’écouter ta voix,
Et de te regarder un instant ;
Puis l’a reprise, a fait tomber
Un voile sur ton visage.

Dieu m’a laissé te regarder au fond des yeux
Et, une seule fois, frôler ta main crispée ;
Puis je me suis retrouvée toute seule,
Et il t’a emmené au Pays du Silence.

Je n’arrive pas à pleurer, je ne sais pas prier :
Mon cœur est devenu très silencieux,
Mais je vois que Dieu donne l’amour
Et que les amants se retrouvent tous seuls.

 

The Love that Goes A-begging

Oh Loves there are that enter in,
And Loves there are that wait,
And Loves that sit a-weeping
Whose joy will come too late.

For some there be that ope their doors,
And some there be that close,
And Love must go a-begging,
But whither, no one knows.

His feet are on the thorny ways,
And on the dew-cold grass,
No ears have ever heard him sing,
No eyes have seen him pass.

And yet he wanders thro’ the world
And makes the meadows sweet,
For all his tears and weariness
Have flowered beneath his feet.

 

The little purple violet
Has marked his wanderings,
And in the wind among the trees,
You hear the song he sings.

L’amour qui va mendiant

Il y a l’Amour qu’on laisse entrer,
Et celui qui doit patienter,
Et l’Amour qui s’assoit pleurant,
Dont le bonheur viendra trop tard.

Car si certains ouvrent leur porte,
Il en est d’autres qui la ferment ;
Ainsi va l’amour mendiant,
Mais nul ne sait où il se rend.

Il va par des chemins d’épines,
Et d’herbe froide de rosée,
Nul ne l’entend jamais chanter,
Nul ne le voit jamais passer.

Pourtant, il va de par le monde,
Semant du moelleux sous ses pas,
Car sous ses larmes et ses pieds las,
Poussent les fleurs dans les prairies.

La petite violette pourpre
Est un signe de son passage,
Et le vent qui secoue les arbres
Siffle la chanson de l’amour.

Dream Song

 

I plucked a snow-drop in the spring,
And in my hand too closely pressed ;
The warmth had hurt the tender thing,
I grieved to see it withering.
I gave my love a poppy red,
And laid it on her snow-cold breast ;
But poppies need a warmer bed,
We wept to find the flower was dead.

Rêverie

J’ai cueilli un perce-neige au printemps,
Et l’ai serré trop fort dans ma main ;
La chaleur a meurtri cet être délicat,
J’ai eu du chagrin de le voir flétrir.
J’ai offert à mon amour un rouge pavot,
Que j’ai posé sur son cœur froid comme neige ;
Mais cette fleur exige un terreau plus chaud,
Nous avons pleuré la mort du coquelicot.