Le Ventre de l’oiseau

Un pays dévasté jamais nommé. Hauts-Plateaux, Terres noires, Terres rouges. Qui sont Baya, David, Yann, Lukas, Marek, Elias/Étienne et Louisa ? Que cherchent-ils ? Sept trajectoires de vie qui se croisent à des moment précis, soudées par les mêmes liens : guerre relative à la colonisation et querelles intestines.

Le récit, qui s’apparente au roman choral, est structuré en deux parties, Hier et De nos jours. David, le soldat-poète réfractaire qui se dit « passeur de mémoire » en est le fil rouge.

Thérèse André-Abdelaziz, est l’autrice d’une dizaine d’ouvrages dont Je, femme d’immigré réédition 2004 La Part Commune. Pièces radiophoniques et théâtrales. Sociétaire de la SACD. Membre des Romanciers Nantais, de l’Association des Écrivains de Bretagne (AEB) et des Écrivains associés de théâtre (EAT).

Format : 12 x 17
Nombre de pages : 160 pages
ISBN : 978-2-84418-424-5

Année de parution : 2022

 

14,00 

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Extrait 1 :

Baya
petite fille des Terres noires
Que ce soit dimanche ou jeudi, Baya aime danser quand son petit papa joue le Clair de Lune de Debussy ou Prélude à l’après-midi d’un faune au piano. Parée de tissus colorés, elle se voit en nymphe ou petit rat. Et petit papa sourit. De ce sourire qui illumine son visage émacié.
Baya aime la poupée articulée à visage de porcelaine, boucles rousses et soyeuses, que son petit papa lui a rapporté de la Cité Lumière tant idéalisée
où il a jadis étudié.
– Elle est habillée comme les petites filles de là-bas confie-t-elle à Ines, sa meilleure amie, et à ses camarades de jeux qui l’envient.
Baya rêve de cette Cité. Son petit papa a promis de l’y emmener un jour.
– Et tu viendras avec nous, Ines !
En attendant, les deux inséparables se baladent ensemble dans l’univers noir et blanc et en couleurs des cartes postales, dont de très anciennes en celluloïd et peintes à la main, qui glorifient la Cité Lumière.

Extrait 2 :

David
le soldat-poète
« Les écrits des poètes sont censurés ! »
« On torture les poètes ! »
« On condamne les poètes à mort ! »
– Foutaise que la guerre !
Celle qu’on l’oblige à faire, loin de la métropole, avec cet uniforme qu’il déteste. Poète réfractaire, poète en colère, petit gars d’à peine plus de vingt ans. De douce et posée, la voix du jeune David s’emporte quand sa parole s’enroule et se déroule dans le vent de l’histoire des hommes. Elle brise le silence.
– D’où vient-elle ?
– Des terres froides aux confins du monde. Oural. Caucase.
– Mais encore ?
– Des pays traversés jusqu’aux ergs du désert.
– Que dit-elle ?
– Les pogroms, l’exil, sa naissance loin de sa terre d’origine. Et tout le reste.
David n’a jamais aimé les étoiles de Noël.
Elles l’insupportent.

Extrait 3 :

Le chœur des femmes
Un après-midi de printemps.
– Elles arrivent !
– Qui ça ?
– Les femmes !
– D’où viennent-elles ?
– De partout ! Elles sont déjà aux portes de la
Cité.
– Qui sont-elles ?
– Des femmes comme nous !
Baya l’infirmière à leur tête, elles avancent en cortège et en rangs serrés. Quelques unes ont des enfants dans les bras, d’autres dans les poussettes.
Avec des sacs à dos et des sacs de couchage. C’est une marche, d’abord silencieuse, qui se dirige vers les prisons de la place des Mendiants où
ne viennent que les gueux et les pigeons. Elles portent des banderoles, brandissent des photos d’hommes et de femmes.
Quelques voix s’enhardissent, reprises en chœur avec force :
– Où sont nos pères, nos frères, nos fiancés, nos maris, nos fils portés disparus ? Où sont nos sœurs ?
– Que sont-ils devenus ?
– Nous voulons la fin des combats, de tous les combats !
– Libérons la Cité et le pays de tous ces barbelés !
Leurs voix s’amplifient :
– Nous nous battrons !
– Nous nous réunirons ici toutes les semaines !
– Nous irons jusqu’au bout !
– Mes sœurs, crie Baya, souvenez-vous !
On nous a réunies un jour dans la cour de l’école.
On nous a regroupées : les jeunes filles, les femmes, les vieilles. On nous a alignées devant un mur blanc.
Photos d’identité obligatoire. Un soldat nous a photographiées une par une, face et profil. Les plus âgées ont souffert de devoir exposer leurs visages
nus… D’autres furent emprisonnées pour la liberté !
Souvenez-vous des clichés de leurs corps dénudés et fragmentés offerts à tous, dans la presse et les rues.
Des insultes proférées à l’encontre des victimes de viols, le tabou des tabous ! Souvenez-vous, mes sœurs !
– Pour l’exemple ! enchaîne une femme aux cheveux prématurément blanchis par les jours et les nuits passés dans les geôles. Nos ventres sont
devenus stériles !
– Parler ! Il faut parler ! Faire entendre cette voix de nous qu’on ne connaît pas !
– Celle qui soulève les voiles et les chuchotements !
– Celle qui refuse d’être emmurée vivante !
– Celle qui crie sous les cicatrices.
– Où sont nos sœurs ? Où sont les hommes ? hurlent-elles !
Leurs voix enflent, bientôt rejointes par celles des femmes qui affluent des rues adjacentes.