Description
Cinq heures trente du matin. Monet sort de la maison avec son attirail de peintre. Il s’étire sur le pas de la porte. Il regarde le ciel encore sombre. Il respire l’air frais chargé de l’odeur capiteuse des roses trémières, et la terre humide.
Il réajuste la courroie du sac sur son épaule, allume une cigarette et descend les marches d’escalier en s’appuyant sur la rambarde de bois.
Jeudi 8. Je reçois cette lettre de vous : « Rendez-vous samedi 15 heures en face des nymphéas. »
Monet jette sa cigarette sur le gravier. Les capucines recouvrent presque entièrement la grande allée centrale. Un chant d’oiseau déchire le silence du jardin endormi. Il perçoit les prémices de lumière au-dessus des ifs ombrageux. L’obscurité est maîtresse encore. Il se sent heureux, en avance sur le jour, prêt à saisir des impressions nouvelles.
Je relis votre carte, les quelques mots tracés sur le bristol : Samedi 15 heures, les nymphéas…
Monet descend l’allée, tout droit jusqu’au fond du jardin. Il gravit l’escalier de la passerelle, au-dessus de la voie ferrée, puis le pont de bois bleu-vert qui enjambe l’étang aux nénuphars. Il s’immobilise en haut du petit pont japonais. Les fleurs ne sont pas ouvertes. Le soleil pointe à l’horizon. Déjà la lumière inonde le ciel gris-bleu, par endroits. Il n’est pas encore six heures.
Je m’amuse de ces jeux de piste, de ces signes laissés entre nous.
Le peintre contemple le ciel puis l’eau, l’eau tranquille puis le ciel qui s’éclaire au-dessus des arbres, et il descend le pont. Il sait qu’il a une demi-heure environ devant lui, à attendre. Cela le rend plein d’allégresse. Il sifflote un petit air à la mode, en foulant l’herbe humide jusqu’au rivage de l’étang. Il sait que la lumière sera belle aujourd’hui. Il sent cela avec violence.
Il attire à lui le canot amarré sur le bord, pose un pied après l’autre dans l’embarcation instable et s’installe en disposant son matériel dans la barque : les pinceaux, les tubes de couleur et trois toiles. Il travaillera plusieurs jours sur chacune d’elles, au fur et à mesure que le soleil monte dans le ciel et que la lumière transforme l’apparence du paysage…