Regards croisés

Xavier Grall et Georges Perros, hommes de l’être, tenaillés par un besoin viscéral de l’autre, devaient se croiser.
Bien que tardive, la rencontre chemina vers l’attention amicale, et, malgré leurs différences, ils se sont trouvés. La trop brève correspondance en témoigne, comme ces Regards croisés, une alternance de textes parfois peu connus, tissant une claudication commune et fraternelle. Jamais livre ne vaudra âme humaine, ultime hommage de Xavier à l’ami Georges.
Patiemment, Ronan Nédélec a rassemblé ces Regards croisés. Il est l’auteur d’un recueil de poèmes, L’époque des mots, éd. Du Passavant, 2019. On lui doit la publication de Dans un Pays de lointaine mémoire d’Yves Elléouet, éd. Diabase, 2020. Il se partage entre Douarnenez et les Monts d’Arrée.

Présentation par Ronan NEDELEC

 

Format : 12 x 17
Nombre de pages : 245 pages
ISBN : 978-2-84418-415-3

Année de parution : 2021

 

 

15,00 

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Extrait 1 :

Lettre 1 : Xavier Grall parle de 1968 comme année de sa première rencontre avec Georges Perros dans le billet « le moineau de la grève aux dames » alors que Yves Loisel dans sa biographie suggère quant à lui 1969. Les cachets de la poste ne donnent aucune date antérieure à 1969 sur les
enveloppes et l’adresse précise de Perros n’est pas connue de Grall. Cela atteste bien qu’il s’agit ici de la toute première lettre écrite par Xavier Grall à
Georges Perros.

Cachet de la poste : 19H 10/7/1969
Adressée à :

Monsieur Georges Perros
Ecrivain
29 S – Douarnenez
Xavier Grall
Tréhubert
29 S – Trégunc

Le 10
Monsieur,
On me demande un article sur les écrivains de Bretagne et j’aimerais ne pas rater vos traces sur cette ballade littéraire. Nicole Corelleau, Jean Mingam m’ont parlé de vous. Pourriez-vous m’adresser votre dernier ouvrage, ou, si vous préférez, le plus significatif de vos livres ? Je n’ai rien trouvé à Concarneau

Merci — et à bientôt peut-être.
Avec toute ma sympathie,
Xavier Grall

 

Lettre 2 : Georges Perros avait pour habitude de répondre très rapidement au courrier qu’il recevait. Bien que nous n’ayons pas retrouvé de lettre de Perros entre le 10 et 15 juillet postée à Grall, il est naturel de penser, qu’entre ces deux dates, les deux hommes eurent un contact, probablement par courrier — le numéro de téléphone de Grall n’étant pas donné sur sa première lettre, Perros confiant quant à lui qu’il n’aimait guère cet « engin » (voir lettre 4).
Cachet de la poste : 18H
15/7/1969
Samedi

Cher Monsieur
Je vous attends — De préférence après le Mardi 15. Tréhubert se trouve sur la route de Kersidan, en Trégunc, du côté de Trévignon. On pourra, si vous le voulez, prendre un pot chez Nicole Corelleau.

À très bientôt.
Amitiés Xavier Grall
Tréhubert 29 S – Trégunc

 

Extrait 2 :

Regards croisés sur les îles

Xavier Grall

La mer à moi ! Mer baradoz ! Je me souviens des étés trempés d’embruns et les embruns étaient les langues de tous les climats. Je me souviens des
enfances boitillant dans les sables, des navires partant, multicolores, Valparaiso, la Trinidad, et toutes les Espagnes lues dans les flaques, entre la
moire des schistes. Le petit port balançait des proues.
Bordées contre bordées… Les voiles brunes ocres pendantes, cuirs de Cordoue au séchoir des mâts…
Filets, algues prises, laminaires errantes, et cette mélancolie si intense qu’elle était félicité, mélancolie d’octobre sur la brume du havre, fanal au crépuscule.
Mer baradoz ! Le songe est plus que la vie, la mer est plus que la rive. Je m’assis dans le sable et un pétrel, de son aile glacée, me râpa le visage. Alors mon deuxième œil s’ouvrit et je vis tout, parfaitement.
Je vis les hommes et les femmes, les saints et les saintes, les guerriers et les martyrs. Ils surgissaient de la mer et ils me nommaient tous par mon nom et je sentis enfin que j’avais chaud dans le cœur, que je sortais de ce très long hiver des âmes gelées, et je vis qu’ils étaient paysans, marins, prêtres et qu’ils ne ressemblaient pas à ceux que j’avais connus jusqu’à ce jour et ils me disaient de louer le lin et de louer l’algue, de célébrer le blé et la bruyère, et de louer le navire et la hune. Je sus alors que j’avais trouvé mon âme et qu’elle était vaste comme la mer.