J’écris comme ça, au petit bonheur – Correspondance Générale Tome II (1847-1854)

Si à plusieurs reprises, Thoreau déclare être un « piètre épistolier », les lettres réunies dans ce deuxième volume de sa correspondance générale viennent apporter un formidable contredit à cette affirmation. La période qui va de 1847 à 1854, autrement dit de trente à trente-sept ans, est une période charnière. Elle marque, après le premier volume de cette correspondance qui pourrait être celui de la maturation, l’épanouissement de l’œuvre et de la vie de Thoreau, avant son accomplissement, ou plutôt sa plénitude, dans les huit dernières années de sa vie que couvrira le troisième et dernier volume de la correspondance. L’extraordinaire diversité de ses correspondants témoigne de la place qu’a conquise de haute lutte Thoreau dans cette Nouvelle-Angleterre qui reste l’Amérique originelle. Et l’entrecroisement de ces échanges épistolaires vient dessiner également la topographie d’une identité américaine en pleine formation.

Traduction : Thierry Gillyboeuf

 

Format : 14×19
Nombre de pages : 494 pages
ISBN : 978-2-84418-381-1

Année de parution : 2018

22,00 

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1847

145 – Horatio Robinson Storer
à Henry David Thoreau

 

Boston [17 janvier 1847]

Cher Monsieur,
Ayant compris par mon Père, le Dr Storer, que vous nourrissiez un grand intérêt pour l’étude de l’Ichthyologie, et en supposant que les autres branches du Règne Animal ne sont pas dénuées d’attrait pour vous, j’ai pris la liberté de vous demander une faveur. Depuis plusieurs années j’ai accordé beaucoup d’attention à l’Oologie et j’ai constitué une collection d’œufs d’oiseaux des plus respectables, et votre coopération m’obligerait beaucoup en m’aidant à l’augmenter ; grâce à l’emplacement de l’endroit où vous résidez vous avez sans doute de nombreuses possibilités de vous procurer des spécimens durant la saison de nidification. Si je puis vous être d’une aide quelconque dans vos recherches en Histoire Naturelle, bien que je dispose de peu de temps, étant étudiant dans cette bonne Vieille Harvard, faites-le moi savoir, je vous prie,
Resp[e]ctueusement v[ôt]re

Horatio R. Storer
14 Winter St[reet].

 

146 – Henry David Thoreau
à Horace Greeley

 

[Janvier 1847]
[Lettre manquante.]

 

147 – Horace Greeley
à Henry David Thoreau

 

New York 5 fév[rier] 1847.

Mon cher Thoreau :
Bien que votre lettre ne soit arrivée entre mes mains qu’aujourd’hui, je me suis occupé de son objet hier, quand j’étais à Philadelphia sur le chemin du retour de Washington. Votre article est en ce moment à la composition, et paraîtra vers le 20 cour[ant] comme article de tête du Graham’s Mag[azine] du mois prochain. Ne faites pas d’objection, ne vous montrez pas déraisonnablement sensible au délai. Il est infiniment plus important pour vous que l’article paraisse ainsi (si tant est que vous ayez des aspirations littéraires), que de vous faire quelques dollars en le sortant d’une autre manière. Quant à le donner en conférence, vous avez eu toute liberté de le faire une centaine de fois si vous aviez opté pour cette solution – plus il y en a mieux c’est. C’est vraiment une bonne chose, et je veillerai à ce que Graham vous paye correctement. Mais sa parution dans ce journal a beaucoup plus de valeur pour vous que l’argent.
Je sais qu’il y a eu trop de retard, et j’ai fait de mon mieux pour y parer. Mais je n’y suis pas parvenu. Une Revue qui paye, et dont on ait envie d’être connu comme contributeur, croule toujours sous les articles, et doit reporter la publication de certains d’entre eux pour d’autres même s’ils sont de moindre mérite. Moi-même, je procède ainsi avec de bonnes choses qu’on ne me demande pas de payer.
Thoreau, ne vous montrez pas trop dur avec Graham. Ne tentez pas d’arrêter la publication de votre article. Les choses sont mieux ainsi. Contentez-vous de vous reposer et d’écrire un article du même tonneau sur Emerson, pour lequel je vous donnerai 25 $ si vous ne réussissez pas à trouver mieux ; ensuite un autre sur Hawthorne à votre convenance, &c, &c. Je vous paierai comptant pour chacun de ces articles à la livraison, les publierai quand et comme il me plaira, en vous en laissant expressément la propriété littéraire. D’ici un an ou deux, si vous veillez à ne pas écrire plus vite que vous ne pensez, vous aurez la matière d’un volume digne d’être publié, et nous verrons alors ce que l’on peut faire.
Il y a un passage quelque part dans S[ain]t Paul – ma lecture des Écritures commence à rouiller – qui dit : « Oubliant ce qui est en arrière et me portant vers ce qui est en avant », &c. En soumettant ce conseil à votre sagacité, je suis

Vôtre, &c.
Horace Greeley.
Mon bon souvenir à Mr. et Mrs. Emerson.

 

148 – Henry David Thoreau
à Horatio Robinson Storer

 

Concord 15 fév[rier] 1847

Cher Monsieur,
Je n’ai pas oublié votre billet que j’ai reçu il y a quelque temps. Bien que je vive dans les bois je ne suis pas un observateur des oiseaux aussi attentif que je l’étais autrefois, mais je considère que je suis comblé quand j’en vois ou que j’en entends. À présent, mes occupations sont telles qu’il y a peu de chances que je tombe sur des spécimens que vous n’avez pas déjà dénichés. Qui plus est, j’avoue que voler leurs nids constitue pour moi un léger cas de conscience, bien que je puisse me laisser aller facilement jusqu’à soustraire gentiment un ou deux œufs, de temps à autre, et si l’avancement de la science le réclamait ouvertement, je pourrais même aller jusqu’au meurtre prémédité.
Je suis sûr que vous observerez plus d’espèces sur le Campus de l’Université et ses environs que moi ici. J’ai remarqué qu’en rase campagne quand il y a peu d’arbres, cela attire davantage d’espèces d’oiseaux que dans une région boisée. Non seulement ils y trouvent de la nourriture en plus grande quantité, mais une protection contre les oiseaux de proie ; et même s’ils ne sont pas plus nombreux qu’ailleurs, les quelques arbres sont nécessairement plus remplis de nids. Nombre de mes camarades de classe réussissaient à ramasser nids et œufs d’oiseaux et ils n’avaient pas besoin d’aller loin du campus de l’université pour les trouver. Je me souviens du nid d’un pic flamboyant dans le bosquet situé sur la partie est du campus, qui donnait chaque année un certain nombre d’œufs aux collectionneurs, tandis que l’oiseau compensait régulièrement la perte comme une poule, jusqu’à ce que mon copain démolisse le tout avec une hachette. J’en ai trouvé un autre dans le champ voisin fiché à l’intérieur d’une souche massive à deux pieds de profondeur. Et dans l’un des champs près du campus j’allais rendre visite chaque jour en hiver à la demeure d’une belette-hermine dans un pommier creux. Mais bien entendu il faut voyager davantage si l’on aspire à constituer une collection complète.
Il y a de nombreux engoulevents bois-pourri & de nombreuses chouettes autour de ma maison, et peut-être qu’en se donnant un peu de peine on pourrait trouver leurs nids. J’espère que vous disposez d’yeux plus vifs et plus curieux que les miens en ce moment. – Cependant, si je tombais par hasard sur un nid plus rare, je n’oublierai pas votre requête. Si vous revenez à Concord, ce qui vous arrive parfois si j’ai bien compris, je serai content de vous accueillir dans ma cabane.
Convaincu que vous garnirez douillettement votre nid de plumes – croyez-moi

Bien à v[ou]s &c
Henry D. Thoreau

 

149 – Henry Williams Jr.
à Henry David Thoreau

 

Boston, 1er mars 1847.

Cher Monsieur,
Les questions suivantes sont posées conformément à ce qui a été voté lors de la Dernière Réunion Annuelle de la Promotion, en vue d’obtenir d’authentiques informations concernant chacun de ses membres, et de permettre au Secrétaire de consigner des faits qui sont faciles à obtenir aujourd’hui, mais que, au fil des ans, il sera de plus en plus difficile de recueillir.
Il vous est respectueusement demandé de répon­dre aux questions qui vous sont soumises, aussi complètement qu’il vous sied de le faire, et d’ajouter tout autre fait concernant votre vie, avant ou après être entré à l’Université, que vous souhaitez communiquer. Les réponses doivent être consignées dans le Livre de la Promotion qui fera office à l’avenir de document de référence.
Prière d’écrire à Henri Williams, Jr., Boston ; frais de port payés.
Très Respectueusement et Sincèrement Vôtre,
Henry Williams, Jr., Secrétaire de la Classe.

1. Quand et où êtes-vous né ?
2. Où avez-vous été formé pour l’Université, et par qui ?
3. Si marié, quand, où et à qui ?
4. Quelle est votre profession ? Si elle est intellectuelle, auprès de qui avez-vous étudié ? Si elle est commerciale, où et avec qui avez-vous commencé ?
5. Quels sont votre emploi et votre résidence actuels ?
6. Mentionnez tout fait général d’importance avant ou depuis le diplôme.

150 – James Elliot Cabot
à Henry David Thoreau

 

[3 mai 1847]

Je les ai immédiatement apportés à Mr. Agassiz, qui a été extrêmement ravi, et a immédiatement commencé à les étaler et à les disposer pour son dessinateur. Il avait déjà vu auparavant certaines des espèces, mais jamais de spécimens aussi frais. D’autres, comme les brèmes et la barbotte brune, il ne les avait vus qu’en esprit, et il ne connaissait la petite tortue qu’à travers les livres. Je suis sûr que vous vous seriez senti pleinement remboursé de la peine que vous vous êtes donnée si vous aviez pu voir la vive satisfaction avec laquelle il examinait chaque nageoire et chaque écaille. Il a dit que la petite kinosterne est vraiment une espèce très rare, entièrement différente de la tortue serpentine. Les brèmes et la barbotte brune ont semblé beaucoup plaire au Professeur. Il aimerait beaucoup se rendre à Concord pour faire une excursion halieutique, comme vous l’avez proposé, mais il est retenu par de nombreuses obligations. Au sujet de la perche, Agassiz a remarqué qu’elle était pratiquement identique à celle d’Europe, mais qu’elle s’en distinguait, si on l’examinait de près, par les tubercules sur le sous-opercule. […] Il ne serait pas contre d’autres tortues peintes. Les tortues serpentines sont très intéressantes pour lui parce qu’elles constituent une transition entre les tortues proprement dites et l’alligator et le crocodile. […] Depuis la première boîte que vous avez envoyée, nous en avons reçu trois de vous.