Physiologie de l’employé

Voilà un Balzac méconnu. Loin du cliché qui ne montrerait qu’un faiseur de descriptions interminables, cette Physiologie de l’Employé met en lumière un pamphlétaire incisif et virtuose. Les travers de la France administrative du dix-neuvième siècle y sont croqués avec la nervosité du caricaturiste.
Il y a du Daumier chez ce Balzac qui excelle à pénétrer dans son oeuvre les secrets des types professionnels : là Grandet le tonnelier, Gobseck l’usurier, Séchard l’imprimeur, Bianchon le médecin, ici la catégorie des employés parisiens. La leçon est claire : Balzac ne veut pas de césure entre littérature et réalité. Et si la plume – non le plomb – pouvait changer le monde ?
En ce sens, la Physiologie de l’Employé est un texte d’une étonnante actualité ; dans les marges de la Comédie Humaine, cette satire épingle avec humour les lourdeurs de l’Etat. Un texte jubilatoire.
P. Bazantay

Format : 12×17

Nombre de pages : 104 pages
ISBN : 978-2-84418-292-0

Année de parution : 2014

13,00 

Catégorie :
chapitre premier
Définition
Qu’est ce qu’un employé ? à quel rang commence, où finit l’employé ?S’il fallait adopter les idées politiques de 1830, la classe des employés comprendrait le concierge d’un ministère et ne s’arrêterait pas au ministre. M. de Cormenin, que la Liste Civile bénisse ! sem­ble affirmer que le roi des Français est un employé à douze millions d’appointements, destituable à coups de pavé dans la rue par le Peuple, et à coups de vote par la Chambre.Toute la machine politique se trouverait ainsi comprise entre les trois cents francs de traitement des cantonniers ou des gardes champêtres et les douze cents francs du juge-de-paix ; entre les douze cents francs du concierge et les douze millions de la Liste Civile. Sur cette échelle de chif-fres seraient grou­pés les pouvoirs et les devoirs, les mau­vais et les bons traitements, enfin toutes les considérations.Voilà le beau idéal d’une Société qui ne croit plus qu’à l’argent et qui n’existe que par des lois fiscales et pénales.Mais la haute moralité des principes politiques de cette Physiologie ne permet pas d’admettre une pareille doctrine. M. de Cormenin est un homme de cœur et d’esprit ; mais un très mauvais politi-que, et cette Physiologie ne lui pardonne ses pamphlets qu’à cause du bien immense qu’ils ont fait : n’ont-ils pas prouvé que rien n’est plus incivil qu’une liste civile ? Désormais les rois de France et de Navarre ne devront rien demander pour eux-mêmes à leurs sujets, il faut absolument leur donner des domaines et non des appointements.La meilleure définition de l’employé serait donc celle-ci :Un homme qui pour vivre a besoin de son traitement et qui n’est pas libre de quitter sa place, ne sachant faire autre chose que paperasser !
La question n’est-elle pas soudainement illuminée ? Cette définition explique les plus dou­teuses combinaisons de l’homme et d’une place. évidemment le roi des Français ne peut pas être employé comme le prétend implicitement l’illustre M. de Cormenin : il peut quitter le trône et se passer de la liste civile. La déclaration publique de M. le maréchal Soult est assez inquiétante pour l’état politique des maréchaux de France ; mais le peu de dextérité de ce grand général à la tribune, ne permet pas d’insister sur ce point.évidemment encore, un soldat n’est pas un employé : il souhaite trop quitter sa place, il est trop peu en place, il travaille trop et touche généralement trop peu de métal, excepté toutefois celui de son fusil.D’après cette glose, un employé doit être un homme qui écrit, assis dans un bureau. Le bureau est la coque de l’employé. Pas d’employé sans bureau, pas de bureau sans employé. Ainsi le doua­nier est, dans la manière bureaucratique, un être neu-tre. Il est à moitié soldat, à moitié employé ; il est sur les confins des bureaux et des armes, comme sur les frontières : ni tout à fait soldat, ni tout à fait employé.Où cesse l’employé ? Question grave !Un préfet est-il un employé ? Cette Physiologie ne le pense pas.
1er axiome
Où finit l’employé, commence l’homme d’état.
Cependant il y a peu d’hommes d’état parmi les pré­fets. Concluons de ces subtiles distinctions que le préfet est un neutre de l’ordre supérieur. Il est entre l’homme d’état et l’employé, comme le douanier se trouve entre le civil et le militaire.Continuons à débrouiller ces hautes questions. Ceci ne peut-il pas se formuler par un axiome ?
2e axiome
Au-dessus de vingt mille francs d’appointements, il n’y a plus d’employés.
1er corollaire. L’homme d’état se déclare dans la sphère des traitements supérieurs.2e Corollaire. Les Directeurs-Généraux peuvent être des hommes d’état.Peut-être est-ce dans ce sens que plus d’un député se dit : C’est un bel état que d’être directeur-général !Quatre directeurs-généraux font la monnaie d’un ministre. Ainsi l’employé finit inclusivement au chef de division. Voici donc la question bien posée, il n’existe plus aucune certitude, l’employé qui pouvait paraître indéfinissable est défini.être employé, c’est servir le gouvernement. Or, tous ceux qui se servent du gouvernement, comme M. Thiers, par exemple, l’emploient au lieu d’être ses employés. Ces habiles mécaniciens sont des hommes d’état.Dans l’intérêt de la langue française et de l’aca­démie, nous ferons observer que si le chef de bureau est encore un employé, le chef de division doit être un bureaucrate. Les bureaux apprécieront cette nuance pleine de délicatesse.Un juge étant inamovible et n’ayant pas un traitement en harmonie avec son ouvrage, ne saurait être compris dans la classe des employés.Cessons de définir ! Pour parodier le fameux mot de Louis XVIII, posons cet axiome.