La femme de l’ambassadeur

Elle est de ces femmes qui patientent, qui rêvent, qui aiment, mais qui jamais ne rentrent vraiment dans la danse. Elle est de ces femmes qui errent, désirent, soupirent, qui voudraient saisir l’instant mais qui toujours le voient fondre devant elles…
Mathilde est femme d’ambassadeur à Moscou. Une vie parfaite qui cache un vide vertigineux, dans un monde artificiel et pesant. La rencontre d’un homme énigmatique lors d’un vernissage va tout faire basculer. Entre la capitale et le Baïkal, son amour du pays va naître et grandir. Elle va aussi sombrer dans une passion à la limite de la folie.

Format : 12×17

Nombre de pages : 208 pages
ISBN: 978-2-84418-301-9

Produit épuisé

Année de parution : 2015

Catégorie :

Au vernissage de l’exposition de Sergueï Kourchkikov, Mathilde s’ennuie.Elle se tient debout près du buffet, un verre de champagne à la main. Le troisième. Ce sera le dernier. Elle sourit, elle est là pour cela.Elle regarde les quelques deux cents invités présents pour l’occasion. Un spectacle.Le genre de spectacle qui l’amusait, au début, mais maintenant, ce monde du paraître l’ennuie pro­fondément. Son mari, monsieur l’ambassadeur, va et vient entre les convives, distribue de chaleureuses poignées de main, sourit, rayonne, trinque, plaisante. Il est comme chez lui. Lui.Alors qu’elle… elle ne s’est jamais faite à ce froid mordant qui la saisit chaque matin dans les rues de Moscou. Et surtout, elle ne s’est jamais habituée à cette vie de « femme de », même si c’est être la femme d’un homme brillant, charmant et semble-t-il toujours aussi épris d’elle.Ils sont arrivés ensemble à la soirée, main dans la main, et elle a accepté les compliments des autres invités faits à son époux : « votre femme est très belle ce soir ». Des propos qui pourraient sembler agréables, s’ils n’étaient pas adressés directement à son mari, comme s’ils lui avaient dit : « vous avez une belle montre ou une belle cravate ».Elle a le sentiment d’être une sorte d’animal de compagnie, chaque fois qu’elle le suit aux banquets, dîners et autres rendez-vous d’affaires.
Elle savoure son verre de champagne, fait mine d’être ravie, joue son rôle à la perfection ou presque. Elle regarde les gens qui pour la plupart feignent de s’émerveiller devant les œuvres de l’artiste, un ami. Un ami de son mari bien sûr. Mais de son point de vue, les tableaux ne sont que des tâches, des formes informes et prétentieuses, des ombres vaines devant lesquelles s’extasient parfois avec exagération certains invités qui font semblant de se laisser berner.Elle serre aussi la main aux passants, sourit encore et encore et écoute quelques bribes de conversation. La langue est belle et chantante. C’est tout ce qu’elle aime dans ce pays.Elle échange des regards avec les femmes vêtues de tenues qu’elle trouve parfois très élégantes, parfois ostensiblement vulgaires.Mais ce soir, elle se sent très faible et le verre de champagne, lui, est pesant. Pourtant, ce n’est pas celui-ci qui lui donne le vertige, c’est la déception du jour. La déception du matin.Hier, elle s’était décidée à partir. Fuir, s’en aller, rentrer en France, abandonner cette vie futile dont elle ne trouvait pas le sens.« Demain, je pars… »C’était sûr. Clair. Évident.Elle était allée chercher sa valise dans le grenier, l’avait regardée un instant, très courte hésitation, puis l’avait ouverte, préparée, refermée. Elle était convaincue de changer de vie ce matin. En finir avec tout cela.Il fallait emporter le minimum. Elle avait pensé à tout, à son passeport, à quelques roubles. Un pas avait été franchi lorsqu’elle avait bouclé son bagage. Elle y songeait depuis des jours, des semai­nes, des mois.
Mais elle est là, ce soir, encore, sourit, encore, mensonge. Elle se sent comme un tableau de Sergueï Kourchkikov, une supercherie.
Elle est maintenant presque prête à s’éclipser, à appeler un taxi pour rentrer se coucher et laisser tout le monde en plan – personne ne s’en apercevra, sauf son mari peut-être qui de temps en temps lui lance un regard furtif comme s’il veillait toujours sur elle, d’une certaine façon – quand elle remarque soudain cet homme, vêtu de noir, à proximité de l’ambassadeur. De taille moyenne, presque commun et invisible. Les mains dans les poches.Sa présence est tout à fait incongrue ici. Pas de costume-cravate comme les autres invités, un visage froid. Épouvantablement froid.C’est incroyable, mais personne ne semble lui prê­ter attention. Il se fond dans la foule.Mathilde remarque ses chaussures maculées de terre. Elle le regarde pendant un moment. Il se tient toujours dans l’ombre de l’ambassadeur. Elle peut observer les deux hommes, les comparer.Son mari est grand, distingué, cheveux sombres, costume-cravate avec un motif de zèbre.Elle sait que d’une certaine manière, ce zèbre-là n’est pas comme les autres, et c’est pour ça que malgré tout, elle est devenue sa femme.L’inconnu, l’intrus – comment l’appeler – est discret et se tient derrière l’ambassadeur lumineux. C’est son ombre.Il est trapu et musclé. Une petite bombe.
L’homme rôde autour de l’époux qui ne remarque rien. Mathilde elle-même, fragile, se demande s’il existe vraiment. Elle se sent fébrile, presque absente, comme si elle n’était pas là non plus, fantôme aussi dans la foule. Fantôme, femme frêle et peut-être victime d’un fantasme étrange, celui d’apercevoir quelqu’un, inconnu mais vivant, qui comme elle apparaît ou disparaît le temps d’une soirée. Elle pensait disparaître, hier, s’évader, s’envoler, et elle est toujours ici, chancelante, alors que dans ses rêves, elle est loin, très loin, sans savoir vraiment où elle se situe…Elle regarde les bulles qui galopent dans la flûte, frémissantes. Elles escaladent le verre, remontent vers la lumière, cherchent une sortie de secours.Elles montent, elles montent, glissent sur les parois et inexorablement ne trouvent pas d’issue.Le traiteur indien engagé pour l’occasion propose un autre verre à Mathilde. Elle refuse. Mais l’homme impertinent insiste en précisant qu’un petit remontant lui ferait du bien, qu’elle a l’air fatiguée, qu’elle semble ne pas s’amuser dans une si belle soirée. Il estime que son accent français est ravissant. Il lui dit de ne pas s’inquiéter, que lui aussi, il avait eu du mal à se faire à ce pays de glace. Et là… aujourd’hui, il est chez lui, il a appris à connaître la chaleur de l’âme russe.

Poids 101 g
Auteur

Astafieff Katia

Éditeur

Collection La Part Classique