Proses de Bretagne

Hommes et femmes d’époques, d’âges et de conditions divers, les 72 écrivains ici retenus nous touchent. Venus souvent de plus loin qu’eux, de plus loin que le pauvre horizon courbe où se bornent les murailles de leurs existences simples, leurs mots poignent au cœur.

Pour cela aussi qui est souffrance et consolation mêlées, nous avons voulu que leurs vies ici présentées soient brèves et cependant doucement éclairées – portraits sensibles, photos tremblées à l’aplomb de notre cœur fragile.

Alain-Gabriel Monot

 

Format : 12 x 17
Nombre de pages : 160 pages
ISBN : 978-2-84418-097-1

 

Année de parution : 2006

14,00 

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Anatole Le Braz (1859-1926)

Né en 1859 à Saint-Servais, en plein Argoat, d’un père instituteur qui collectait déjà des contes traditionnels de Bretagne, Anatole Le Braz étudie les humanités classiques au lycée de Saint-Brieuc (qui porte désormais son nom) puis à la Sorbonne. Il devient professeur de lettres au lycée de Quimper. Rêvant de la renaissance d’un art national breton, il est premier président de l’Union Régionaliste Bretonne.
La publication de la Légende de la mort en Basse-Bretagne le rend durablement célèbre. Il est également poète, et son œuvre de romancier prend toute son ampleur dans Le Gardien du feu, récit d’une implacable vengeance. Bientôt, selon la jolie formule de Yann Ber Piriou, l’érudition et le talent oratoire d’Anatole Le Braz sont bien à l’étroit au lycée de Quimper. Il est alors nommé à l’Université de Rennes où il enseignera de 1901 à 1924. Il s’éteint à Menton en 1926.

On a pu dire de la Bretagne, avec quelque raison, qu’elle est le pays par excellence de la Mort. Déjà, au temps de Pomponius Mela, les nautonniers de ses rivages avaient la réputation de conduire aux sombres bords les mânes des défunts, d’être de mystérieux passeurs d’âmes. Leurs descendants ont gardé, à un degré rare, le goût du surnaturel : les choses de l’autre monde les passionnent peut-être plus que les réalités de la vie présente, et l’on trouverait difficilement, parmi les nations civilisées, une autre race qui vive d’aussi près, en une communion aussi étroite, avec ses morts.
D’ailleurs, dans la croyance des Bretons, les morts ne sont jamais vraiment morts : ils sont « ceux qui s’en sont allés », et ils ne s’en sont pas allés loin. La maison de planches qu’ils habitent au cimetière est toute proche de leur ancien logis. Ils y dorment le jour durant et une moitié de la nuit, mais pour se réveiller à l’heure où, dans les chaumières et les manoirs, les vivants se sont endormis à leur tour. Ils se lèvent par grands essaims silencieux, frôlent de leur pas muet les routes désertes. La nostalgie les prend de leur demeure, de leurs habitudes, de leurs travaux même d’autrefois. La mort n’a rompu aucune de leurs attaches terrestres.

La Fête des morts en Bretagne (Ed. Séquences 1991)

 

Saint-Pol Roux (1861-1940)

Paul-Pierre Roux, qui prendra le pseudonyme de Saint-Pol Roux, est né à Saint-Henri, dans la banlieue de Marseille, le 15 janvier 1861. Après des études à Lyon et à Paris, il publie en 1886 un premier ouvrage, Lazare. Proche des poètes symbolistes, il collabore au Mercure de France. Assez vite pourtant, il prend ses distances avec le mouvement symboliste et quitte Paris. Il s’installe alors en Bretagne en 1898, d’abord à Roscanvel puis à Camaret, dans un petit manoir isolé qui domine le large.
Ayant choisi la Bretagne comme terre d’adoption, il en fait le cœur de ses ouvrages. L’Ancienne à la coiffe innombrable, Bretagne est univers témoignent entre autres de la profondeur de cet enracinement, qui est aussi un envol. Peu après l’invasion de 1940, le manoir de Saint-Pol Roux est investi et incendié par des soldats allemands ivres. La servante est tuée, Divine, fille du poète, violentée. Le vieil écrivain meurt quelques jours plus tard à l’hôpital de Brest. Du manoir, il demeure aujourd’hui quelques tourelles et quelques pierres éparses sur la dune. Un projet de réhabilitation n’a pu être suivi d’effet. Au pied de la construction éboulée, les vagues continuent, pareilles. Le vent aussi.
L’une après l’autre elles s’en vont, les bonnes vieilles au fuseau, l’une après l’autre elles s’en vont, toutes les vieilles du hameau.
Tu ne reverras plus tante Marie ni tante Lise, ô ma Divine, ni tant d’autres en coiffe blanche du dimanche ou bien en penn-du de laine de la semaine, tu ne reverras plus ces mères-grand au long châle de deuil qui souriaient à ta chair de féerie sur le seuil après avoir, grêles marraines au dos de cerceau, souri sur les gazouillements premiers de ton berceau d’osier, tu ne reverras plus ces candides anciennes que derrière la pesante croix d’argent viennent d’emporter au cimetière entre des planches quatre braves gens.

L’ancienne à la coiffe innombrable (Ed. du Fleuve 1946)

Charles Le Goffic (1863-1932)

Quinzième enfant d’un imprimeur-libraire, Charles Le Goffic naît à Lannion le 14 juillet 1863. Écolier puis collégien dans sa ville natale, il la quitte pour le lycée de Nantes puis le lycée Charlemagne à Paris, où il poursuit de brillantes études.
Professeur, il quitte l’enseignement en 1896 pour vivre exclusivement de sa plume. Sa production littéraire, particulièrement importante, est le plus souvent consacrée à la Bretagne qu’il ne revoit pourtant qu’à la belle saison. Il excelle dans la rédaction d’ouvrages romanesques et historiques, dont les plus connus sont sans doute aujourd’hui les quatre tomes successifs de L’Ame Bretonne, publiés entre 1902 et 1923. Ces livres inscrivent dans son œuvre une vision nostalgique, idéalisée parfois, du terroir natal.
Nommé président de la société des gens de lettres en 1922, il est encore élu à l’Académie Française en 1931. Au retour d’une tournée de conférences en Belgique et aux Pays-Bas, il est victime d’une mauvaise chute aux abords de la gare Montparnasse, revient à Lannion et s’y éteint quelques semaines plus tard, le 12 février 1932.
Tombés dans une relative désuétude pendant et après la seconde guerre mondiale, les récits de Charles Le Goffic ne connaissent une seconde vie que depuis la fin des années 70.
Côte à côte, par la grève, puis par un lacis de petits chemins sinuant à travers de grandes étendues marécageuses où le vent d’automne sifflait dans les joncs couleur de rouille, elle gagnait avec Santic la pointe de Rûn-Losket, tantôt îlot, tantôt presqu’île, suivant l’état des marées. On commençait à distinguer le petit chaume qu’elle habitait et qu’une barricade de grosses pierres erratiques défendait contre l’âpreté du nord : des vasières le bordaient à droite et à gauche, où les alouettes de mer, les courlis et les pluviers picoraient au jusant les « calhuts » et les crabes. Une âcre odeur de goémons pourris emplissait l’air ; des tas de bernicles vidées s’empilaient autour des crèches malodorantes où la tribu de carriers, qui avait fixé ses wigwams dans ce lieu sauvage, élevait le cochon annuel, ressource des ménages pauvres de la région et leur unique aliment carné du premier de l’an à la Saint-Sylvestre.

Le pirate de l’île Lern (Ed. Coop Breiz 2000)