Poésies complètes

Jehan Rictus (1867-1933) bouleversa la poésie des alentours de 1900 en y conviant le langage argotique et gouailleur du petit peuple des faubourgs parisiens, cela dans des soliloques où s’entendaient les souffrances, les révoltes, parfois aussi les joies, de toute une galerie de déshérités : SDF, prostituées, enfants maltraités…
Si lui-même, rejeton honni d’une postulante comédienne, n’était de ce peuple qu’un observateur avisé, la résistance de son tempérament particulier à s’intégrer socialement l’avait fait frère de tous ces exclus : d’où la justesse de sa plainte, son succès immédiat et durable.
Ce volume réunit pour la première fois l’intégrale des poésies que Jehan Rictus fit paraître. On y lira ses deux recueils majeurs, Les Soliloques du Pauvre (1897, revu en 1903) et Le Cœur populaire (1914), puis un grand nombre de poèmes qui n’avaient été publiés qu’en revue ou dans des plaquettes devenues introuvables.
Il s’accompagne d’une étude où le texte est relu en considérant la biographie et la personnalité du poète, de notes, et d’un lexique d’argot.

Format : 12 x 17
Nombre de pages : 816 pages
ISBN : 978-2-84418-237-1

Année de parution : 2012

28,00 

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LE PAUVRE

Y a des fois ousque j’ vas croûter
Chez les camaros du « Bon-Bock »
Et après que j’ai boulotté
J’ leur z’y gazouille un « Soliloque ».

Les Bon-Bockeurs c’est des fistons
Des affranchis, des marl’s, des potes
Et d’ l’apéro à la compote
On s’ fait pas de mousse à leurs gueul’tons.

Y sont des borgeois, des artisses
Des diplomat’s, des carabins
Des socialos, des anarchisses
Des pouâtes, des sculpteurs, des rapins.

Y’en a d’ barbus, y’en a d’ rasés
Y’en a qu’ ont nib su’ la capsule
Y’en a qu’ a des tronch’s de consuls
(Ça veut pas dir’ des chimpanzés !).

Après la croustille et l’ dessert
L’ fromgi la goutte et le cawa
On donn’ le signal du Concert
On gouâl’ de la grande Opéra.

Et pis on passe à la musique
La romance ou la poyésie
Le moral après le physique
Si qu’on rote, c’est en ambroisie.

Et tous, ténors ou barytons
Disent l’amour et ses caresses
Mais va t’ faire fout’ ça manqu’ de fesses
Au Bon-Bock y’a pas un téton.

Quand qu’ y zont piaulé des douceurs
Qui vous mett’nt d’humeur amoureuse
Ces vach’s-là prèt’raient pas leur sœur
Afin qu’on puiss’ la rendre heureuse.

Pis c’est barca de la soirée
Chacun rentiffe à sa carrée
Moi avant d’enterrer Minoche
Je suis des gas qui r’filent la cloche.

Et eun’ fois d’ plus me v’là ronchon
Car d’pis trente ans de République
Ya pas encor d’ chauffoirs publics
Et moi j’ trouv’ ça mufle et cochon.

Et j’ dis qu’ Jaurès pourrait vraiment
En fout’ eun’ secousse à la Chambre
Car enfin nous v’là en Décembre
Tout l’ monde gagne pas quinz’ mill’ par an.

En Décembre où est né Jésus
À poils aussi dans eun’ cabane
Mais Lui l’ avait le Bœuf et l’Âne
Et sa Moman qui soufflaient d’ssus.

Ohé ! Ohé ! les « Bons-Bockeurs »
Qu’ êtes des copains d’ la Gouvernance
J’ viens tirer la corde à vos cœurs
Pourriez pas avoir ça en France ?

Pour les mouisards, les ventres verts
Qu’ a pus d’ ribouis, d’ femme, ou d’ bivouac
J’ demande pas qu’on leur paie le claque
Mais un air de rif en Hiver.

[…]

MON P’TIT

(Une Pierreuse parle)

– Mon P’tit ? N’en v’là h’un qu’on m’arr’proche
c’est pas h’un homm’, c’est h’un « poisson »
Ben quoi, tout l’ mond’ peut pas êt’ broche
ça n’est permis qu’aux beaux garçons !

Seize ans, girond.. un beau p’tit nez
Ça n’a pus d’ pèr’, ça n’a pus d’ mère
Ça n’a têté que la misère
C’est comm’ moi c’est h’abandonné

Quand j’ l’ai connu l’ était loucher
rose et gentil comme un goret
mais les Vieux cavalaient après
alorss moi, je l’ai débauché

Pis j’ l’ai dressé à mes passions
et j’ me l’ suis entré dans la peau
y’ m’ tient, je l’ tiens, grenouill’, crapaud
c’est mon outil à pâmoisons

Ah ! y faut voir ça quand qu’ c’est nu
quoiqu’ mal nourri c’est ben foutu
c’est costaud, râblé, c’est nerveux
Abélard et lui ça fait… deux.

C’est pas poilu, c’est blanc comm’ lait
c’est frais d’ la gueule et du croupion
et des z’esgourd’s jusqu’aux z’arpions
c’est pas d’ la carn’ c’est du poulet

Ça sait la Femme et c’est hardi
c’est h’ardent, c’est vaillant, c’est chatte
et quand qu’ ça vous quient dans ses pattes
ça vous emporte en Paradis

Et propr’ ! Ça s’étrill’ pir’ qu’un âne
ça s’ lav’ le cul les pieds les dents
gn’y’a d’ l’Ovreier comm’ ça qui crâne
qui pourrait pas en dire autant

Aussi non seul’ment l’ est beau môme
mais durant l’ temps qu’on fait l’amour
tout’ sa bell’ petit’ viande embaume
comm’ le pain chaud qui sort du four

Avec ça il est pas fourneau
il est marl’ comme y’ a pas un gonce
y r’tient tous les airs de Caf’-Conce
et vous les r’ssert mieux qu’un phono

Quand des fois avec les fanands
on est en bombe ou à la flemme
et qu’y veut imiter Dranem
on s’ tient l’ bid’ tant il est fêlant

Mais son vrai coup c’est la romance
on fait qu’ chialer dès qu’y commence
et pis après qu’il a fini
tout’s les poul’s en pinc’nt que pour lui

Seul’ment j’ai l’œil’ ! Eul’ preumier raquin
qu’ os’rait même y payer à boire
c’est h’à coups d’ siphon dans la poire
que j’y rentrerais son béguin.

[…]

Poids 300 g
Auteur

Rictus Jehan

Éditeur

Collection La Part Classique