Sur l’importance du refus du service militaire

Léon Tolstoï (1828-1910) dans son essai Sur l’importance du refus du service militaire invite les citoyens à une forme de sédition au nom de la liberté des peuples et du droit de disposer de soi-même en toute quiétude. Au nom de la « doctrine du Christ » qui l’anime depuis un certain temps, Tolstoï incite à ne plus courber l’échine devant le despotisme des gouvernants. C’est ainsi qu’il revêt la noble parure de l’écrivain engagé dont l’aura et l’audience dépassent la Russie. Contre l’oppression, contre les oppresseurs, Tolstoï fédère et apporte son soutien. La correspondance ici reproduite entre Tolstoï et les docteurs Skarvan et Makovitzky ainsi que l’article du docteur Skarvan « Le refus du service militaire » relaient l’influence que la contestation initiée par Tolstoï eut sur une partie de la population en Russie, comme en Europe.

Présenté par Vincent Gogibu

 

Format : 10,5x 17
Nombre de pages : 112 pages
ISBN : 978-2-84418-391-0

Année de parution : 2019

6,50 

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SUR L’IMPORTANCE DU REFUS DU SERVICE MILITAIRE

 

Il y a un proverbe russe qui dit : « Tu peux désobéir à ton père et à ta mère, mais tu obéiras à la peau de l’âne », c’est-à-dire au tambour. Et ce proverbe s’applique, même au sens propre, aux hommes de notre temps qui n’ont pas accepté la doctrine du Christ ou qui l’acceptent déformée par l’Église. Les hommes qui n’ont pas accepté la doctrine du Christ, dans son essence, doivent renier tout sentiment humain et n’obéir qu’au tambour. Et une seule chose peut s’affranchir du tambour : la profession de la vraie doctrine du Christ.

Les peuples européens ont beau travailler à établir les nouvelles formes de la vie élaborées depuis longtemps déjà dans la conscience, c’est toujours l’ancien despotisme grossier qui guide la vie, et les nouvelles conceptions de la vie non seulement ne sont pas réalisées, mais même les anciennes, celles que la conscience humaine a dénoncées depuis longtemps, par exemple, l’esclavage, l’exploitation des uns au profit de l’oisiveté et du luxe des autres, les supplices, les guerres, s’affirment de jour en jour d’une façon plus cruelle. La cause, c’est qu’il n’existe pas une définition du bien et du mal accepté par tous les hommes de sorte que, quelle que soit la forme de la vie mise en pratique, elle doit être soutenue par la violence.

L’homme aurait beau inventer la forme supérieure de la vie sociale, garantir, soi-disant, la liberté et l’égalité, il ne pourrait s’affranchir de la violence, puisque lui-même est un violeur.

C’est pourquoi, si grand que soit le despotisme des gouvernants, si terribles que soient les maux que ce despotisme soumet aux hommes, l’homme qui tient à la vie sociale se soumettra toujours à lui. Cet homme, ou appliquera son esprit à justifier la violence existante et à trouver bien ce qui est mal, ou il se consolera en pensant que bientôt il trouvera le moyen de renverser le gouvernement et d’en établir un autre, très bon, qui transformera tout ce qui, maintenant, est mauvais. Et, en attendant que se réalise ce changement rapide ou lent des formes existantes, changement il attend le salut, il obéit servilement aux gouvernants existants, quels qu’ils soient, et quelles soient leurs exigences. Certes, il n’approuve pas le pouvoir qui, à un moment donné, emploie la violence, mais, non seulement il ne nie pas la violence et les organes de la violence, il les juge nécessaires. Et c’est pourquoi il obéira toujours à la violence gouvernementale existante. L’homme social est un violeur, donc toujours, inévitablement, c’est un esclave.

La soumission avec laquelle les Européens, surtout ceux qui sont fiers de la liberté, ont accepté une des mesures les plus despotiques, les plus honteuses inventées jamais par les tyrans – le service militaire obligatoire, le prouve mieux que tout. Le service militaire obligatoire accepté par tous les peuples sans contradiction, sans révolte, même avec une joie libérale quelconque, est une preuve éclatante de l’impossibilité pour l’homme social de se délivrer de la violence et de modifier l’état existant.

Quelle situation peut être plus insensée, plus pénible que celle où se trouvent actuellement les peuples européens qui dépensent la plus grande partie de leurs ressources à la préparation de moyens propres à détruire leurs voisins, des hommes que rien ne sépare d’eux mais avec lesquels vivent-ils en communion spirituelle étroite ? Que peut-il y avoir de plus terrible pour ces peuples que cette crainte toujours pendante qu’un fou quelconque, qui s’appelle l’empereur, dis quelque chose qui déplait à un autre fou pareil ? Quoi de plus terrible que tous ces moyens de destruction inventés chaque jour : canons, bombes, grenades, mitraille, poudre sans fumée, torpilles et autres engins de mort ? Et cependant, tous les hommes, comme des bêtes poussées par le fouet sous la hache, iront docilement où on les enverra,

Les hommes de l’Europe libérale se prospèrent de ce qu’on ne leur défende pas d’écrire toutes sortes de sottises et de prononcer n’importe quelles paroles aux dîners, aux meetings, aux Chambres, et ils se croient absolument libres, de même les bœufs qui paissent dans le pré de l’abattoir se croient tout à fait libres. Et cependant, jamais peut-être le despotisme du pouvoir ne cause aux hommes autant de malheurs que maintenant, et ne méprise autant les hommes qu’aujourd’hui. Jamais l’effronterie des violateurs et la lâcheté de leurs victimes n’atteignent le degré où nous les voyons.

Les jeunes gens se rendent aux casernes, les pères et les mères, ceux-là mêmes qu’ils ont promis de tuer, les accompagnent. Il est évident déjà qu’il n’y a pas d’humiliation ni de honte que ne supporteraient les hommes d’à présent. Il n’y a pas de lâcheté, pas de crime qu’ils ne commettraient si cela leur faisait le moindre plaisir et les délivrait du plus petit danger. Jamais encore la violence du pouvoir et la dépravation des dominés n’avaient atteint tel degré. Il y a toujours coupé et il ya chez tous les hommes en possession de leur force morale quelque chose qu’ils tiennent pour sacré, qu’ils ne peuvent céder à aucun prix, au nom de quoi ils sont prêts à supporter les privations, les souffrances , la mort même, quelque chose qu’ils n’échangeraient pour aucun bien matériel. Et presque chaque homme, si peu soit développé-il, le possède. Dites à un paysan russe de cracher l’hostie ou de blasphémer l’icône, il mourra plutôt que de le faire. Il est trompé, il croit que l’icône est sacrée et ne tient pas pour tel ce qui l’est vraiment (la vie humaine), mais il ya pour lui quelque chose de sacré qu’il ne céderait pour rien. Il y a une limite à sa soumission ; il ya en lui un os qui ne plie pas. Mais où est cet os chez l’homme civilisé qui se vend comme esclave au gouvernement ? Quelle est cette chose sacrée qu’il ne cédera jamais ? Elle n’existe pas. Il est entièrement mou et se plie tout entier. S’il y avait pour lui quelque chose de sacré, alors, à en juger par tout ce qu’on raconte dans son monde avec un pathos hypocrite, ce devrait être l’humanité, c’est-à-dire le respect de l ‘ homme dans ses droits, dans sa liberté, dans sa vie. Et quoi ? Lui, le savant éclairé qui, dans les écoles supérieures, a appris tout ce que l’esprit humain a imaginé avant lui, lui qui se place au-dessus de la foule, lui qui parle sans cesse de la liberté, des droits, de l’intangibilité de la vie humaine, on le prend, on le revêt d’un costume grotesque, on lui ordonne de se redresser, de saluer, de s’humilier devant tous ceux qui portent sur leur habit un galon de plus, de promettre de tuer frères et parents, et il est prêt à tout cela, il demande seulement quand et commente le lui ordonnera. Demain, libéré, avec une importance nouvelle il recommencera à prêcher les droits, la liberté, l’intangibilité de la vie humaine, etc., etc. dans les écoles supérieures, a appris tout ce que l’esprit humain a élaboré avant lui, lui qui se place au-dessus de la foule, lui qui parle sans cesse de la liberté, des droits, de l’intangibilité de la vie humaine , on le prend, on le revêt d’un costume grotesque, on lui ordonne de se redresser, de saluer, de s’humilier devant tous ceux qui portent sur leur habit un galon de plus, de promettre de tuer frères et parents, et il est prêt à tout cela, il demande seulement quand et commente le lui commandera. Demain, libéré, avec une importance nouvelle il recommencera à prêcher les droits, la liberté, l’intangibilité de la vie humaine, etc., etc. dans les écoles supérieures, a appris tout ce que l’esprit humain a élaboré avant lui, lui qui se place au-dessus de la foule, lui qui parle sans cesse de la liberté, des droits, de l’intangibilité de la vie humaine , on le prend, on le revêt d’un costume grotesque, on lui ordonne de se redresser, de saluer, de s’humilier devant tous ceux qui portent sur leur habit un galon de plus, de promettre de tuer frères et parents, et il est prêt à tout cela, il demande seulement quand et commente le lui commandera. Demain, libéré, avec une importance nouvelle il recommencera à prêcher les droits, la liberté, l’intangibilité de la vie humaine, etc., etc. intangibilité de la vie humaine, on le prend, on le revêt d’un costume grotesque, on lui ordonne de se redresser, de saluer, de s’humilier devant tous ceux qui portent sur leur habit un galon de plus, de promettre de tuer frères et parents, et il est prêt à tout cela, il demande seulement quand et commente le lui commandera. Demain, libéré, avec une importance nouvelle il recommencera à prêcher les droits, la liberté, l’intangibilité de la vie humaine, etc., etc. intangibilité de la vie humaine, on le prend, on le revêt d’un costume grotesque, on lui ordonne de se redresser, de saluer, de s’humilier devant tous ceux qui portent sur leur habit un galon de plus, de promettre de tuer frères et parents, et il est prêt à tout cela, il demande seulement quand et commente le lui commandera. Demain, libéré, avec une importance nouvelle il recommencera à prêcher les droits, la liberté, l’intangibilité de la vie humaine, etc., etc.

Et voilà ! Avec de pareils hommes qui promettent de tuer leurs parents, les libéraux, les socialistes, les anarchistes, en général les hommes sociaux, songent à organiser une société où l’homme serait libre ! Mais quelle société morale et raisonnable peut-on édifier avec de tels hommes ? Avec de pareils hommes, en quelque combinaison qu’on les met, on ne peut qu’arranger un troupeau d’animaux dirigés par les cris et les fouets des bergers.

 

 

Un lourd fardeau s’est abattu sur les hommes et les écrase, et les hommes, écrasé de plus en plus, cherche le moyen de s’en délivrer.

Ils savent qu’en unissant leurs forces ils pourraient supporter le fardeau et le renverser, mais ils ne peuvent se mettre tous d’accord sur la façon de s’y prendre, et chacun s’incline de plus en plus, supposent le fardeau appuyé sur les épaules des autres. Et le fardeau écrase de plus en plus les hommes et tous auraient déjà péri s’il ne s’en trouvait dont les actes sont guidés non par les considérations des conséquences extérieures des actes, mais par l’accord des rites avec la conscience.

Ces hommes sont les chrétiens : au lieu du mais extérieur dont l’atteinte exige le consentement de tous, ils se donnent un mais intérieur accessible sans qu’aucun consentement soit nécessaire. En cela est l’essence du christianisme. C’est pourquoi le salut de l’asservissement dans lequel se trouvent les hommes, impossible pour les hommes aux idées sociales, est réalisé par le christianisme : la conception sociale de la vie doit être conservée par la conception chrétienne de la vie.

Le but de la vie générale ne peut être entièrement connu, – dit à chacun la doctrine chrétienne, – il se présente à toi uniquement comme le rapprochement de plus en plus grand, de tous, vers un bien infini : la réalisation du royaume de Dieu , tandis que tu connais indubitablement le mais de la vie personnelle qui consiste à réaliser en toi la perfection la plus grande, l’amour, nécessaire pour la réalisation du royaume de Dieu. Et ce mais, tu le connais toujours, et il est toujours accessible. Tu peux ignorer les meilleurs mais particuliers, extérieurs ; on peut placer des obstacles entre eux et toi, mais personne et rien ne peut arrêter le rapprochement vers la perfection intérieure, l’augmentation de l’amour, en toi et dans les autres. Et que l’homme remplace le mais extérieur, social, mensonger, par le seul mais vrai, indiscutable, accessible, intérieur de la vie, tomberont bientôt toutes les chaînes qui semblaient impossibles à rompre, et il se sentira tout à fait libre. Le chrétien s’affranchit de la loi de l’État parce qu’il n’en a besoin ni pour lui, ni pour les autres, puisqu’il juge la vie humaine plus garantie par la loi d’amour qu’il professe que par la loi soutenue par la violence.

Pour le chrétien qui connaît les besoins de la loi d’amour, les besoins de la loi de violence non seulement ne peuvent être obligatoires, mais ils se présentent à lui comme des erreurs qui doivent être énoncées et détruites.

L’essence du christianisme, c’est l’accomplissement de la volonté de Dieu qui n’est possible qu’avec la liberté extérieure absolue. La liberté est la condition nécessaire de la vie chrétienne. La profession du christianisme affranchit l’homme de tout pouvoir extérieur et, en même temps, lui donne la possibilité d’atteindre cette amélioration de la vie qu’il cherche vainement par le changement des formes extérieures de la vie.

Il semble aux hommes que leur situation s’améliore grâce aux changements des formes extérieures de la vie, et, cependant ces changements ne sont pas toujours la conséquence d’une modification de la conscience ; ou la vie ne s’améliore que dans la mesure où ces changements sont basés sur une évolution de la conscience.

Tous les changements extérieurs des formes de la vie qui ne sont pas la conséquence d’une modification de la conscience non seulement n’améliorent pas la condition des hommes, mais, le plus souvent, l’aggravent. Ce ne sont pas les décrets du gouvernement qui ont aboli le massacre des enfants, les tortures, l’esclavage, c’est l’évolution de la conscience humaine qui a provoqué la nécessité de ces décrets ; et la vie ne s’est améliorée que dans la mesure où elle a suivi le mouvement de la conscience, c’est-à-dire dans la mesure où la loi d’amour a remplacé dans la conscience de l’homme la loi de violence.

Si les modifications de la conscience ont de l’influence sur celles des formes de la vie, il semble aux hommes que la réciproque doive être vraie, et comme il est plus agréable et plus facile (les résultats de l’activité sont plus évidents) de diriger l’activité sur des changements extérieurs, ils préfèrent toujours employer leurs forces non à modifier leur conscience mais à changer les formes de la vie, et c’est pourquoi, dans la plupart des cas, ils sont occupés non de l’essence de l’affaire, mais de son semblant. L’activité extérieure, inutile, remuante, qui consiste à établir et appliquer les formes extérieures de la vie, cache aux hommes cette activité intérieure, essentielle, du changement de leur conscience, qui seule peut améliorer leur vie. Et c’est cette erreur qui retarde le plus l’

Une vie meilleure ne peut être qu’avec le progrès de la conscience humaine, et c’est pourquoi tout homme qui désire améliorer la vie doit s’employeur à modifier sa conscience et celle d’autrui. Mais c’est précisément ce que les hommes ne veulent pas faire, au contraire, ils emploient toutes leurs forces au changement des formes de la vie en espérant qu’il entraînera une modification de la conscience.

Le christianisme, et le christianisme seul, affranchit les hommes de l’esclavage ou ils se trouvent présentement, et le christianisme seul leur donne la possibilité d’améliorer réellement leur vie personnelle et la vie générale. Cela devrait être clair pour tous, mais les hommes n’ont pu l’accepter tant que la vie, d’après les conceptions sociologiques, n’était pas entièrement connu, tant que le champ des mœurs, des cruautés, des souffrances de la vie sociale et gouvernementale n’était pas examinée dans toutes les directions.

Poids 90 g
Auteur

Tolstoï Léon

Éditeur

Collection La Petite Part