Les caresses

Dans ces trois nouvelles, on retrouve tout l’art et le génie de Guy de Maupassant, tour à tour sensible, inquiétant, subtil et licencieux. Ce sont ces différents pans de son écriture comme de sa personnalité que vient illustrer chacun de ces petits chefs-d’œuvre ciselés avec intelligence et efficacité. « Les caresses » se présentent sous la forme d’une lettre écrite par une femme à son amant, pour lui expliquer qu’elle se refuse à faire ce qu’il lui demande, et de la réponse de ce dernier pour qui « la caresse est l’épreuve de l’amour ». Tout cela pourrait être parfaitement autobiographique, quand on sait l’addiction à l’odor di femmina de Maupassant, qui faisait craindre à son mentor et ami Flaubert qu’il ne finisse « en sperme ». « Sur les chats » révèle une autre facette plus inattendue de Maupassant, même s’il avoue aimer et détester ces animaux familiers qu’il compare inévitablement aux femmes. On ne peut s’empêcher, en lisant ce texte méconnu, aux célèbres poèmes de Baudelaire qui décrit le chat comme « l’esprit familier » de la maison. Enfin, avec « La peur », nous sommes en plein dans le registre des contes fantastiques, au surnaturel effrayant, du « Horla ». Dans ce récit gigogne, Maupassant instille avec efficacité le sentiment de peur et d’effroi qui gagne ceux qui écoutent le narrateur raconter son histoire, et éveille la curiosité inquiète du lecteur d’emblée happé par cette atmosphère qui n’aurait pas dépareillé dans une nouvelle d’Edgar Allan Poe.

 

 

Format : 10,5 x 15
Nombre de pages : 64 pages
ISBN : 978-2-84418-283-8

Année de parution : 2014

6,00 

Catégorie :
Les Caresses
Gil Blas, 14 août 1883

 Non, mon ami, n’y songez plus. Ce que vous me demandez me révolte et me dégoûte. On dirait que Dieu, car je crois à Dieu, moi, a voulu jadis tout ce qu’il a fait de bon en y joignant quelque chose d’horrible. Il nous avait donné l’amour, la plus douce chose qui soit au monde, mais trouvant cela trop beau et trop pur pour nous, il a imaginé les sens, les sens ignobles, sales, révoltants, brutaux, les sens qu’il a façonnés comme par dérision et qu’il a mêlés aux ordures du corps, qu’il a conçus de telle sorte que nous n’y pouvons songer sans rougir, que nous n’en pouvons parler qu’à voix basse. Leur acte affreux est enveloppé de honte. Il se cache, révolte l’âme, blesse les yeux, et honni par la morale, poursuivi par la loi, il se commet dans l’ombre, comme s’il était criminel.
Ne me parlez jamais de cela, jamais !
Je ne sais point si je vous aime, mais je sais que je me plais près de vous, que votre regard m’est doux et que votre voix me caresse le cœur. Du jour où vous auriez obtenu de ma faiblesse ce que vous désirez, vous me deviendrez odieux. Le lien délicat qui nous attache l’un à l’autre serait brisé. Il y aurait entre nous un abîme d’infamies.
Restons ce que nous sommes. Et… aimez-moi si vous voulez, Je le permets.
Votre amie,
GENEVIÈVE.

Madame, voulez-vous me permettre à mon tour de vous parler brutalement, sans ménagements galants, comme je parlerais à un ami qui voudrait prononcer des vœux éternels ?
Moi non plus, je ne sais pas si je vous aime. Je ne le saurais vraiment qu’après cette chose qui vous révolte tant.
Avez-vous oublié les vers de Musset :
Je me souviens encore de ces spasmes terribles,
De ces baisers muets, de ces muscles ardents,
De cet être absorbé, blême et serrant les dents.
S’ils ne sont pas divins, ces moments sont horribles.
Cette sensation d’horreur et d’insurmontable dégoût, nous l’éprouvons aussi quand, emportés par l’impétuosité du sang, nous nous laissons aller aux accouplements d’aventure. Mais quand une femme est pour nous l’être d’élection, de charme constant, de séduction infinie que vous êtes pour moi, la caresse devient le plus ardent, le plus complet et le plus infini des bonheurs.
La caresse, Madame, c’est l’épreuve de l’amour. Quand notre ardeur s’éteint après l’étreinte, nous nous étions trompés. Quand elle grandit, nous nous aimions.
Un philosophe, qui ne pratiquait point ces doctrines, nous a mis en garde contre ce piège de la nature. La nature veut des êtres, dit-il, et pour nous contraindre à les créer, il a mis le double appât de l’amour et de la volupté auprès du piège. Et il ajoute : Dès que nous nous sommes laissé prendre, dès que l’affolement d’un instant a passé, une tristesse immense nous saisit, car nous comprenons la ruse qui nous a trompés, nous voyons, nous sentons, nous touchons la raison secrète et voilée qui nous a poussés malgré nous.
Cela est vrai souvent, très souvent. Alors nous nous relevons écœurés. La nature nous a vaincus, nous a jetés, à son gré dans des bras qui s’ouvraient, parce qu’elle veut que des bras s’ouvrent.
Oui, je sais les baisers froids et violents sur des lèvres inconnues, les regards fixes et ardents en des yeux qu’on n’a jamais vus et qu’on ne verra plus jamais, et tout ce que je ne peux pas dire, tout ce qui nous laisse à l’âme une amère mélancolie.

Poids 90 g
Auteur

Maupassant Guy