Le roman de Tristan

Jacques Lardoux a composé ici une traduction-adaptation du Roman de Tristan de Béroul, en octosyllabes rimés ou assonancés, car ce qui compte surtout pour ce genre de poésie narrative, c’est le rythme et le chant. Comme aux temps anciens, ceux qui écoutent sont alors emportés par l’histoire de Tristan et Yseut, l’un des mythes les plus fascinants qui soient – narration d’un amour ardent, contrarié, menacé mais sans cesse recommencé. Le Roman de Tristan de Béroul est décidément un spectacle total, drôle, cruel, envoûtant, un témoignage historique tout autant qu’une légende.


Format : 12X17
Nombre de pages : 160
ISBN : 978-2-84418-142-8

 

Année de parution : 2008

14,00 

Catégorie :

Yseut et Tristan ont compris que le roi Marc les épiait caché dans un arbre.(vers 1-254)

Afin que rien ne la trahisse, / Elle s’approche de son ami./ Oyez comme elle l’avertit : / – O Tristan, par Dieu, le roi,/ Quel péché voulez-vous de moi/ Pour me mander à pareille heure !/ Elle feint alors, et pleure./ Par Dieu qui fit l’air et la mer/ Jamais plus il faut me mander./ Je vous le dis, Tristan. Navrée,/ Certes, mais je ne viendrai mie./ Le roi pense que par folie,/ ô Tristan, je vous ai aimé./ Mais Dieu connaît ma loyauté./ Que sur mon corps, il me flagelle/ Si, à part qui m’a pris pucelle,/ Quelqu’un a joui de mon amour !/ Même si les félons de la cour,/ En place desquels vous combattîtes/ Et puis le Morhout vous occîtes,/ Lui font accroire, (ce me semble),/ Que par amour sommes ensemble./ Mais vous ne le pensez pas. / Jamais, Dieu puissant, quant à moi,/ Ne songeai être votre amante/ Par une passion dégradante./ Mieux vaudrait que je fusse brûlée,/ Mes cendres au vent dispersées,/ Que d’aimer un jour de ma vie/ Un autre homme que mon mari./ Dieu ! Pourtant, il ne me croit pas./ Je peux dire : « Tomber si bas ! »/ Ainsi que le dit Salomon :/ Tous ceux qui sauvent le larron/ Ils ne peuvent s’en faire aimer./ […] Vous avez dû beaucoup souffrir/ De la blessure endurée/ Lors de la bataille livrée/ Pour mon oncle. Je vous ai guéri./ Et si vous êtes mon ami,/ Rien d’étonnant, par ma foi !/ Les fêlons ont fait croire au roi/ Que vous m’aimiez d’amour vilaine./ Qu’ils aillent voir Dieu en son règne !/ Jamais ne le verront en face !/ Tristan, veillez, en nulle place,/ Pour nulle chose à me mander. / Jamais je ne pourrai oser,/ Rien qu’un seul jour, vers vous venir./ Mais bien vite je dois partir./ Si le roi en savait un mot,/ Mon corps serait démembré tôt./ Et ce serait un très grand tort/ De me donner ainsi la mort./ Tristan, c’est sûr, le roi ne sait/ Que pour lui seul, je vous aimais./ Vous étiez de sa parenté,/ Vous aviez donc mon amitié./ Je croyais jadis que ma mère/ Aimait les parents de mon père./Selon elle, une épousée/ Ne saurait son mari aimer/ Sans aussi ses parents aimer./ Je suis sûre que c’était vrai./ Tristan pour lui, je t’ai aimé/ Et n’en fus pas récompensée./
– Ainsi ses vassaux l’ont berné/ Avec des histoires insensées./
– Ah, Tristan, que voulez-vous dire ?/ Il est courtois le roi, mon sire./ Il n’aurait pas imaginé/ Que nous puissions le tromper./ Mais on peut d’un homme se jouer/ Et du bien le détourner./ Ainsi l’on fit de mon seigneur./ Tristan, je m’en vais, trop demeure./
– Dame, pour l’amour de Dieu, pitié !/ Puisque je vous ai appelée,/ écoutez un peu ma prière./ Vous m’avez toujours été chère !/
Mais alors Tristan a compris/ Que le roi épiait son amie./ Gloire à Dieu, que Dieu soit loué,/ Il sait qu’ils vont être sauvés/.
– Ah, Yseut, fille de roi,/ Franche, noble, de bonne foi,/ Plusieurs fois, vous ai appelée/ Mais votre porte m’est fermée,/ Et je n’ai plus pu vous parler./ Dame, je veux vous supplier,/ Souvenez-vous de ce chétif/ Qui dans la douleur se tord vif ;/ Car je souffre tant que le roi/ Ait mal pensé de vous et moi/ Que je ne vois plus que la mort./ […] Il aurait dû être assez sage/ Pour ne pas croire les maudits/ Qui voulaient m’éloigner de lui./ Les félons de la Cornouaille/ Maintenant sont en joie et raillent./ Je me rends bien compte depuis/ Qu’ils ne voulaient auprès de lui/ Aucun seigneur de son lignage./ Beaucoup m’a peiné son mariage./ Dieu ! Pourquoi le roi est si fol ?/ Que je sois pendu par le col/ Plutôt que dans toute ma vie/ Devenir votre tendre ami./ Il ne me laisse pas plaider,/ Les traîtres l’ont manipulé./ Il a vraiment tort s’il les croit./ Ils l’ont trompé ; lui rien ne voit./ Jadis, silencieux, les ai vus/ Lorsque le Morhout fut venu ;/ Aucun d’eux ne s’est démené/ Et n’a osé le provoquer./ J’ai vu mon oncle angoissé :/ Mieux être mort j’aurais aimé./ Pour son honneur, me suis armé/ Et le Morhout j’ai chassé./ Il n’aurait pas dû, mon cher oncle/ Prêter l’oreille à cette honte./ Souvent en ai le coeur serré./ Ne voit-il pas qu’il a péché ?/ Certes, un jour, il dira oui./ Par Dieu, fils de la sainte Marie,/ Dame, dîtes-lui céans,/ Qu’il fasse faire un feu ardent,/ Et j’entrerai dans le bûcher./ Si jamais un poil est brûlé/ De la haire6 que j’ai endossée,/ Qu’il me laisse me consumer./Aucun seigneur va se risquer/ A, en un duel, m’affronter./ Dame, par magnanimité,/ De moi n’avez-vous pas pitié ?/ Dame, ayez pitié de moi :/ Rendez-moi l’amitié du roi./ Je veux partir en chevalier/ Comme par mer je suis arrivé.
– Ma foi, Tristan grand tort avez,/ Qui de la sorte me parlez/ Pour que le roi garde raison/ Et vous accorde son pardon./ Je ne veux pas déjà mourir/ Ni à me perdre en venir./ Très fort, il vous a soupçonné,/ Et moi j’irais lui en parler ?/ Alors je serais trop hardie./ Ma foi, Tristan, n’en ferai mie./ Il ne faut pas le demander./ En ce pays, suis isolée./ Au roi, vous ne pouvez aller./ Et s’il m’en entend parler,/ Il pourrait me tenir pour folle./ Ma foi, je n’en dirai parole ;/ Mais vous dirai un petit rien/ Qu’il faut que vous sachiez bien :/ Que s’il vous pardonnait, beau sire,/ Oubliait rancune et ire7,/ J’en serais heureuse et comblée./ Mais s’il savait notre équipée,/ Je connaîtrais très bien mon sort,/Tristan, car ce serait la mort./ Je pars. Je ne vais plus dormir/ Craignant qu’on vous ait vu venir./ Si un mot parvenait au roi,/ S’il apprenait quoi que ce soit,/ Que nous étions là assemblés,/ Il me ferait mettre au bûcher./ Il n’y aurait rien d’étonnant./ J’en tremble, mon émoi est grand/ Du fait de la peur qui me prend./ Suis ici depuis trop longtemps/.
Yseut s’en va, il la rappelle/ :
– Dame, par Dieu, qui en pucelle/ Voulut sauver l’humanité,/ Conseillez-moi par charité./ Je sais, vous ne pouvez rester./ Mais personne à qui me confier./ Je sais combien le roi me hait./ J’ai engagé tout mon harnais./ Aidez-moi à le libérer :/ Je fuirai, je n’ose rester./ Je sais ma valeur de guerrier./ Et partout je peux m’en aller,/ Je sais qu’il n’y a pas de roi/ Qui ne m’accepte, si je le vois./ Et si j’ai fait des envieux,/ De par ma tête blonde, Yseut, /Mon oncle, à la fin de l’année,/ Ne voudrait pas telle pensée,/ Même au prix de son poids d’or./ De la vérité je suis fort./ Yseut, par Dieu, à moi pensez./ Aidez-moi à me justifier./
– Par Dieu, Tristan, je m’émerveille8/ Que vous me donniez tel conseil./ Vous continuez de faire mal,/ Ce conseil-là n’est pas loyal./ Il pèse sur moi un soupçon,/ Par folie ou par réflexion./ Ô Dieu, le sire glorieux,/ Qui nous créa, terre et cieux./ Si le roi Marc entend parler/ Que j’ai vos gages libérés,/ Le soupçon sera évident./ Je n’ose faire ça, vraiment./ Point avarice fait parler,/ Sachez-le, c’est la vérité./
Là, Yseut s’en est retournée,/ Tristan, en pleurant, l’a saluée./ Sur le perron de marbre bis,/ Tristan s’appuie, ce m’est avis ;/ Il se lamente lui tout seul:/
– Ah Dieu, beau seigneur saint Evrol !/ Point ne pensais être écarté/ Et réduit à la pauvreté./ Partir sans arme ni cheval,/ Ni compagnon sauf Governal./ Ah Dieu, que je suis démuni !/ Que je suis réduit au mépris !/ Quand je serai en autre terre/ Si chevalier parle de guerre,/ Aucun mot pourrais prononcer !/ Qui est nu ne doit pas parler./ Il me faut donc subir le sort/ Qui déjà m’a fait mal et tort./ Mon oncle bien peu m’a connu/ Qui pour Yseut m’en a voulu./ Jamais folie ne m’a tenté,/ Ce n’est pas là ma volonté.  […]

Poids 101 g
Auteur

Béroul

Éditeur

Collection La Part Classique