Le Cœur mendiant

Roman de la désillusion, Le cœur mendiant est avant tout une célébration de la langue, de la littérature et de la beauté.

résumé :
Un soir à 20 h en 2015. Dans une grande tour qui domine la ville où elle s’est installée seule quelques années plus tôt, une femme regarde les informations. Elle pense à son voisin, un vieil homme malade du cœur qui vient d’être hospitalisé et dont elle garde le chat. Sur l’écran, des hommes dans un lointain désert jouent au football. Les ballons sont dirait-on faits de chiffons sales. En vérité ce sont les têtes de jeunes Américains décapités par leurs bourreaux. Le même soir, à la fin du même journal télévisé, elle apprend la disparition d’un homme qu’elle a connu vingt-cinq ans plus tôt, un écrivain britannique controversé, Jeremy Kettle, au parcours singulier. Cette mort énigmatique ouvre pour elle un travail de remémoration. Dans sa cave sont entreposés des cartons qu’elle n’a jamais ouverts depuis son déménagement. Poussée par les circonstances, elle renoue avec son passé, sur les traces d’un homme aimé, André Rouvre, le traducteur en français de Jeremy Kettle, lorsqu’elle avait dix-sept ans. Commence alors le récit dont elle est la narratrice, liant les destins individuels des personnages à l’histoire du monde sur une trentaine d’années, mêlant réalité et fiction, entre aspirations de la jeunesse et désenchantement de la maturité.

 

Format : 12 X 17
Nombre de pages : 224
ISBN : 978-2-84418-351-4

 

Année de parution : février 2018

17,00 

Catégorie :
LE COEUR MENDIANT
 Extrait 1

Mes yeux retrouvent l’écran. Des images floutées me parviennent. Je ne comprends pas très bien. Un match de football improvisé dans la poussière d’un pays lointain. Sous le soleil qui cogne, dans les rires et les vociférations, plusieurs ballons circulent. Ils rebondissent mal. On dirait des ballots de chiffons qui se défont en loques. En vérité, ce sont des têtes humaines.

 

Extrait 2

” On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. ”  Jeremy Kettle récitait les vers les plus connus d’Arthur Rimbaud avec son accent britannique et quelques fautes, il y a vingt-cinq ans passés, à l’autre bout de la France, sous la statue de Stanislas. ” Vous aimez Rimbaud, n’est-ce pas ? Tout le monde aime Rimbaud à votre âge. Et si vous ne l’aimez pas encore, il faut l’aimer. ” Léger et bavard, un peu trop brillant pour être net, banalement fat. En représentation. Peut-être mal à l’aise en définitive, me dis-je aujourd’hui.
Tous les hommes que j’ai rencontrés, ceux qui lisent, peu ou prou, aiment Rimbaud, disent aimer Rimbaud. Ludovic, mon camarade de classe, l’adorait comme d’autres chérissent un footballeur. En dieu.
” Je ne sais pas encore si j’aime Rimbaud ” avais-je répondu à Kettle. C’était une vraie réponse. Pendant longtemps je l’ai lu en étrangère, avec une froide admiration. D’autres m’avaient envahie comme la mer remonte avec la marée l’estuaire d’un fleuve côtier et ne m’avaient plus jamais tout à fait quittée. J’étais lavée et salée de leurs eaux, et caressée, saoulée de leurs algues. Rimbaud sur sa barque était plus lointain. Peut-être un jour le rejoindrais-je. Je n’en étais pas sûre. Il y avait beaucoup de chemin. De grands déserts à traverser. Des frontières. Du temps et des larmes.
Extrait 3

Est-ce que le monde s’est tellement obscurci en un quart de siècle ? Est-ce une illusion d’optique, un effet normal de la maturité qui chasse peu à peu, jusqu’à l’éradication totale, les rayons de la jeunesse ? Est-ce la conjonction toujours plus fracassante des drames intimes et de l’universelle tragédie jusqu’à la déflagration ultime ?

Extrait 4
C’est samedi. J’ai mal dormi. Sous mes yeux se sont pressées des images d’un autre âge, mêlées à celles de la semaine. Toutes insoutenables. Les larmes des parents américains reprises sur toutes les chaînes du monde, en alternance avec le jeu macabre aux têtes ; la jeune Omaira Sanchez agonisant en direct dans la boue ; les massacres de Sabra et Chatila ; les charniers du Rwanda, les coupe-coupe et les machettes, et les entailles dans les crânes ; les bombardements de Sarajevo et le témoignage des femmes violées en Bosnie ; et d’autres images, incompréhensibles dans cette fureur de mort, Rostropovitch à Berlin jouant du violoncelle pour célébrer la Chute du Mur, et des centaines de mains tendues vers le ciel pour emporter des morceaux de parpaings. Étrangement mêlée à l’actualité sanglante du monde, la disparition de Kettle vient de ressusciter la nuit passée, dans mes propres souvenirs intimes, les trente-cinq dernières années de l’histoire de l’humanité.
Il y a vingt-cinq ans, la jeune fille que j’étais et ses camarades assistaient en spectateurs indifférents, sur les bancs du lycée puis de l’Université, à la refondation de l’Europe. Nos aînés avaient été en liesse un an durant – nous vivons un moment historique ! – et nous, impassibles, avions assisté à cette ivresse collective sans la partager, ne pouvant la comprendre. Pendant ces quelques années qui séparent l’enfance de l’âge adulte, nos cœurs et nos yeux furent remplis jusqu’à ras bord d’autres images passées et présentes, celles d’un même effroi : Auschwitz, Hiroshima et Srebrenica.
Extrait 5

Une éclaircie dans ton regard. Cette liqueur dorée de tes yeux, que je bois, que je bois longuement. Tu souris de nouveau.

Je crois que je comprends. Parfois j’éprouve une certaine réticence à parler d’un livre aimé si l’on m’interroge à son sujet, comme si rassembler tout ce que je pourrais en dire au moment où l’on me pose la question était insurmontable…

Tu réponds et reprends avec gravité : ” Il est bien plus facile de détester avec raison que de défendre par amour “. Je te réponds oui, c’est vrai, et je me montre curieux. Qui es-tu ? Ordinairement, tu écoutes les autres plus que tu ne leur parles. Tu aimes lire, tu viens souvent ici parce que c’est le meilleur lieu, quand le temps s’y prête, pour lire dehors, au calme ; l’endroit n’est pas très fréquenté des Nancéiens, un peu à l’écart, à peine, mais suffisamment pour être tranquille. C’est une si belle place. Et ce nom, Alliance, et ces arbres, ces tilleuls subtils. Tu la préfères à l’autre, la célèbre. Tu ris au milieu d’une phrase où tu t’emballais et tu ne dis plus rien. Je sais que je dois partir mais je voudrais ne plus quitter ton banc. Je ne sais même pas ton prénom.

Muriel.

Extrait 6

André sera enterré au village de Chavaniac dans deux jours à quinze heures. J’ai répondu à Kettle que je ne savais pas encore ce que je ferais. Il a insisté. Venez je vous en prie. Nous avons des choses à nous dire. Il quittait Paris le matin même. La femme d’André l’attendait. Je vous verrai mardi, je vous reconnaîtrai. Je n’ai pas oublié la jeune fille en robe rouge.
Quinze ans ont passé depuis le chapiteau de la place Stanislas. Moi je le reconnaîtrai sans faillir. Difficile de ne pas identifier la silhouette d’oiseau de nuit, le visage, souvent photographiés. Il a ajouté quelque chose au moment où je raccrochais. Je n’ai pas compris quoi. Aucune importance, l’essentiel était dit.

Poids 101 g
Auteur

Le Dez Mérédith

Éditeur

Collection La Part Classique