Etrange forêt

Nous sommes doublement liés, je le vois. L’amour de l’arbre ! l’amour de l’arbre nous lie comme l’accent breton. Je prends pour moi le mot de Beethoven. J’aime mieux un arbre qu’un homme. Je l’avais dit avant de savoir que le génie était de mon avis. Du temps d’Apollinaire nous disions : « Il y a de l’arbre dans un tel » ou bien
« Il n’y a pas d’arbre dans un tel » pour signifier la beauté produisante. Il y a sans doute de l’arbre en vous, c’est-à-dire (comprenez-moi, je vous prie et ne m’accusez pas de littérarisme) « de la racine ! » La faculté de trouver les accents qui venant du fond de l’homme s’adressent au fond de l’homme.
Max Jacob

 

Format : 12 x 17
Nombre de pages : 128 pages
ISBN : 978-2-84418-117-6

 

Année de parution : 2007

13,00 

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Etrange Forêt

I

Elle quitte une étrange forêt
lentement comme un thonier le port.
Ses cheveux sont câbles et lianes
sa robe est taillée dans la voilure
d’une futaie brûlée par l’automne.
Aussi loin que s’en aillent ses pas
elle apporte avec elle une odeur
de clairière d’algues de silos
de ceps tapis sous des feuilles mortes
de pipe allumée au feu des mers.
Plus tard elle est parfois reconnue
sans parfums nue au milieu des neiges
à ses yeux vagues sur fond de vase
où brillent les veillées de Noël.
La chaleur n’a pas quitté son sang
et la sève irrigue encore ses rêves.
La voici qui dort sur le rivage
près de la méduse de la lune.
La voici épave de l’hiver
échouée sur les flots des emblaves.
Elle sort de ce sommeil vêtue
de fleurs de bourgeons d’écailles neuves.
Un duvet de pollen et d’abeilles
embellit toute sa chair nouvelle.
Elle rit et fuyant le soleil
Regagne son étrange forêt.

II

Forêt dont les chablis sont couchés dans la neige
sous la nef faut-il suivre le vent qui pourchasse
le gel fauve et le givre affûtant leurs cognées ?
Au cœur des épiniers dorment les bêtes noires
quand déjà le printemps se prépare à l’éveil.

Je laisse tes doigts nus tamiser le soleil
la marche des vivants fait craquer le bois sec
mais le sommeil des morts s’enfonce avec la sève
qui se fraie un trajet de silence et de nuit
vers le delta mille fois branchu des racines.

Un pas de femme efface une empreinte griffue
l’aile fait choir le fruit un cocon se déchire
l’insecte fuit tandis que le germe s’enterre
un hérisson blessé se transforme en châtaigne
l’oiseau grouillant de vers devient graine volante.

Chaque jour dresse un tronc veiné de cicatrices
vers la nue où le sang et l’eau sont épandus.
Le souvenir se perd dans les allées touffues
les vipères de toutes pistes s’emmêlent
jamais je ne pourrai sortir de ma prison.

Je crois trouver la plaine et c’est une clairière
qui fixe son clou d’or dans l’ébène du soir
je repars je me blesse à la chair des écorces
la foule est immobile où coule ma souffrance
des lianes de peur voudraient me retenir.

Pourtant je sais que d’autres cherchent la lumière
je devine une autre captive à mes côtés.
Il suffit d’une étoile il suffit d’un regard
pour qu’un arbre s’avance aux confins du désert
pour que se lève en nous la forêt sans frontières.
Fleuve noir

à Louis Emié

Fleuve noir fleuve d’épines
sur la carte du couchant
je me livre à tes courants

à peine ai-je touché terre
l’image inverse m’attire
loin du souffle des futaies

Au fil de mille rivières
je découvre le réseau
d’un branchage sans lumière

J’erre au pays des racines
son soleil mort me fascine
et m’assourdit son silence

Il est tard je frappe en vain
au fond de couloirs glacés
aucun ne m’offre d’issue

Alors assoiffé du jour
vers son reflet je dérive
plus lentement qu’un noyé
Fleuve noir j’atteins enfin
le lit de ton estuaire
qui fait signe à ma fatigue

Or une étoile inconnue
m’oblige à recommencer
le voyage de la sève

Dans la pénombre feuillue
où confluent toutes les sources
je monte jusqu’à la cime

Sous moi l’horizon s’étale
mais pourrais-je y posséder
la maison le feu l’alcôve

Je ne cueillerai jamais
les fleurs souples du sommeil
car mon règne est vertical

Et parvenu dans l’azur
il me faut plonger encore
sur les traces de moi-même
Le feu mouillé

à Gaston Bachelard

Très loin sous l’eau le feu est allumé
le feu de pluie trouant la lucarne des mers.
Mille saisons de sécheresse
ont en vain tenté de l’atteindre.
Lampe veillant en profondeur
ce feu mouillé derrière la vitre du rêve
ne veut pas dévorer les feuilles de la terre.

Pour lui l’arbre est fluide et l’herbe toujours souple
le sel liquide brûle et pourtant vivifie
les jardins ravagés donnent toujours des fruits
la braise de la joie coule mieux que les pleurs.

Loin dans le temps l’hiver allume sa mansarde.
Les fleurs du jour qui tombent dans la nuit
les larmes d’or que la mer engloutit
forment l’humus où germent les soleils.
Sur tout l’onde éternelle étale son glacis.
La vie la mort sont une même flamme.

Poids 101 g
Auteur

Guillaume Louis

Éditeur

Collection La Part Classique