Amours et priapées

Ami de Vigny et l’un des premiers disciples de Baudelaire, Henri Cantel (1825-1878), est l’auteur d’un chef-d’œuvre de la poésie érotique, réédité pour la première fois depuis un siècle et demi. Sans le génie cru d’un Pierre Louÿs, il s’inscrit dans une grande tradition de la poésie érotique à laquelle des auteurs aussi divers que Jean de La Fontaine ou Théophile Gautier ont donné leurs lettres de noblesse. Dans ces soixante-dix poèmes, dont bon nombre sont des sonnets, Cantel décline les deux thématiques de son titre, des amours souvent malheureuses, aux accents romantiques très baudelairiens, et des poèmes érotiques qui, bien que présentés comme priapiques, représentent souvent des scènes lesbiennes.

Format : 10,5 x 15
Nombre de pages : 80 pages
ISBN : 978-2-84418-303-3

Année de parution : 2015

6,00 

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À L’AMOUR

Amour, supplice heureux, rêverie enflammée,
Toi qui sous le soleil tiens la terre pâmée,
Dieu de la volupté, des sanglots et des pleurs,
Sur tes brûlants autels coule le sang des cœurs.

N’es-tu pas, dans les mains de l’homme et de la
femme,
Un miroir où chacun vient regarder son âme ?
N’es-tu qu’un vaste abîme, où nous courons jeter
Notre moëlle, nos jours, nos nuits, sans rien
compter ?

Je fus longtemps, Amour, ta proie et ta victime ;
Un ver piqua les fruits de ma jeunesse intime,
Et mon cœur est blessé par sa maturité.

Rêvant les voluptés multiples d’un satrape,
J’orne le front cornu de l’antique Priape
Des myrtes délicats de la perversité.

 

PRIAPE

Priape, dieu vivant, tombé d’un ciel impur,
Protecteur des jardins, j’ai dans un coin occulte
Gardé pieusement les rites de ton culte,
Et j’aime ton phallus qui monte vers l’azur !

Dégoûté des amours, dont le mensonge enivre,
L’imagination meurtrie et le cœur las,
Je suis venu vers toi, toi qui me révélas
Des plaisirs clandestins où l’on se sent revivre.

Moi qui veux deviner tout symbole inconnu,
Poëte agenouillé devant ton front cornu,
J’ai ceint de fleurs ton buste et ton ventre difforme.

Mais il est pour le cœur un autel plus sacré ;
Dans la joie ou les pleurs, sous le saule ou sous
l’orme,
Tu peux m’attendre, Amour : demain je revien­drai.

 

LE CLITORIS

Le clitoris en fleur, que jalousent les roses,
Aspire, sous la robe, à l’invincible amant ;
Silence, vents du soir ! taisez-vous, cœurs
moroses !
Un souffle a palpité sous le blanc vêtement.

Béatrix, Héloïse, Ève, Clorinde, Elvire,
Héroïnes d’amour, prêtresses de l’art pur,
Chercheuses d’infini, cachez-vous dans l’azur !

D’astre en astre montez, aux accents de la lyre,
Loin des soupirs humains ; plus haut, plus haut
encor,
Volez, planez, rêvez parmi les sphères d’or !

Le printemps fait jaillir les effets hors des causes ;
La lune irrite, ô mer ! ton éternel tourment,
Et le désir en flamme ouvre amoureusement
Le clitoris en fleur que jalousent les roses.

VÉNUS CALLIPYGE

Ô Vénus Callipyge, ô reine de beauté !
Qu’un sculpteur grec baigna d’une grâce
inconnue,
Sur le sable des mers, debout et demi-nue,
Tu souris aux contours de ta divinité.

Déesse, rêve heureux de l’impudeur antique,
Tu détournes la tête, et tu sembles aimer
Les troublantes rondeurs que l’art sut enflammer,
Puisque, pour les mieux voir, tu lèves ta tunique.

Tout poëte t’adore, immobile et rêvant ;
Son regard, ce baiser des cœurs forts, a souvent
Brûlé d’un vain baiser tes deux fesses de marbre.

Il voudrait t’emporter dans ses bras éperdus,
Et cueillir sur tes reins des plaisirs défendus,
Car en lui le désir se dresse comme un arbre !

 

ECCE HOMO

Parfois, lorsque l’esprit, comme un roi sans
couronne,
Vers un lointain exil et des cieux inconnus,
S’enfuit, la chair docile aux conseils de Vénus,
Flot rouge et débordé, se révolte et frissonne.

Alors les désirs fous, meute qu’on emprisonne,
Montrent leurs yeux ardents et tordent leurs bras
nus ;
Hors du cercle où l’esprit les avait contenus,
Ils brûlent tout, pareils à la mort qui moissonne.

L’homme et la femme, las de leur accouplement,
Vont cueillir au hasard les voluptés de Rome
Et les lubricités où se berça Sodome.

Priape, demi-dieu de l’abrutissement,
Lève son fier phallus vers le bleu firmament :
Et s’écrie : – « À genoux ! adorez ! voici l’homme ! »

 

LA LECTURE

Une enfant de quinze ans, une rose entr’ouverte,
À l’ombre d’un buisson en fleurs, lisait, un jour,
Un conte du vieux temps, une histoire d’amour,
Et sa jambe lascive irritait l’herbe verte.

De sa poitrine ronde un soupir s’envola ;
Elle serra les dents, et sa bouche de fraise
Sous des baisers ardents sembla se pâmer d’aise ;
Son œil, clos à demi, soudain étincela.

Sur son cœur frémissant, comme un être qu’on
aime,
Vaincue, elle pressa le cher et doux poëme,
Que son désir avait lu d’une seule main.

On eût vu sur ses pieds tomber sa jupe blanche,
Lorsque son cri charma les oiseaux sur leur
bran­che :
– « Conteur, je relirai ton beau conte demain ! »

 

 

LES ROSES
À Manon

De ta bouche, rose vermeille,
Lorsque ta langue sort, pareille
Au dard enivré d’une abeille,
Le cœur ouvre l’aile, et s’éveille.

Mais le sang court à flots troublants,
Quand l’essaim des baisers brûlants
Sur tes seins, coteaux ronds et blancs,
Mouille et mord tes boutons tremblants.

Une ardente et mystique rose
Que le feu de jeunesse arrose
Tressaille et jamais ne repose

Sous les touffes d’un frais bosquet…
Que ne puis-je, en ton lit coquet,
Des trois roses faire un bouquet !

Poids 90 g
Auteur

Cantel Henry

Éditeur

Collection La Petite Part