A les entendre parler

Loin de moi l’idée d’écrire un ouvrage de révérence. Ils en seraient fâchés. Point de critique non plus, sauf à me laisser parfois aller. Pas question pour autant de taire leurs arrière-pensées sous des habits prêts-à-porter. Non, rien de tout ça. Des conversations. Quant au genre dans lequel ces pages se rangent, certainement des notes de deuxième main. à vrai dire, eux et moi n’avons pas beaucoup voyagé ensemble. Quelques bouts de chemin tout au plus. Ces mots de passe reviennent pourtant de loin et, cachés partout dans mes livres, ils sont en quelque sorte mes bons de sortie. Et peut-être un peu les vôtres.


Format : 12×17
Nombre de pages : 128 pages
ISBN : 978-2-84418-224-1

 

Année de parution : 2011

13,00 

Catégories : ,

J’ai les miens comme vous avez les vôtres. Ils n’en sont pas moins bons. Ne cherchez pas la petite bête ou des poux dans leurs têtes. Certains se prêtent au jeu en ouvrant leurs livres et leurs correspondances. D’autres ont plutôt tendance à fermer leurs portes. Je les ai très peu vus en fait. Lus et relus, oui. Ce sont mes passages piétonniers. Je crains parfois de trop leur parler. De les tutoyer, une mauvaise habitude, me dit-on. Ou de préférer les prénoms. Ce n’est pas par familiarité mais plutôt pour s’accorder un temps de plus ou un temps pour de bon. Ceux-là ont déjà un nom connu. Tout au moins dans quelques replis discrets des bouquinistes qui savent lire. D’autres n’existent que pour moi. Des hommes et des femmes qui se dépassent par les autres. Sans le vouloir ni le savoir. Fixés sur des photos maladroites. De celles qui vous coupent les jambes involontairement. Ici, pas de grandes marques même dégriffées. Le coup de blanc se tire au tonneau. J’ai compris là ce qu’est une fin de nuit ou un début de jour. Ce n’est pas donné à tout le monde, je crois bien.

Je les ai croisés pour certains au propre, pour d’autres au figuré. Comme le passé coule toujours au présent. L’entre-deux-guerres qui ne finit jamais et surtout pas à notre porte. Ils ont tous une preuve à charge dans leurs tiroirs. Vouloir remonter les fleuves, lutter contre les courants, c’est le choix des bordures ou de la disparition. La vie est plus que friable. C’est comme tourner la tête en arrière pour voir ceux qui arrivent et qui ont du mal à réprimer leur impatience. Sans aucun devoir de réserve.

 

Nous nous parlons à nous-même autant que nous parlons aux autres. Sur quelqu’un. De quelqu’un. D’où nous vient ce besoin de causer. De raconter ces choses de la vie du jour. Menues ou grandes. Nous jouons un pas de deux. Une pièce à deux. Une idée en amène une autre. La distribution est généreuse. Nous lisons le texte sur les lèvres. Comme s’il ou elle était là. Nous nous entretenons. Une discussion souvent singulière. Nous nous coupons la parole. Certains sont plus doués pour écouter. Avec des blancs tendance longue. à en faire somnoler ses arrière-pensées. D’autres relancent la conversation et se mettent de côté leurs bons mots. Des moments où nous vivons notre nez partout. Il n’est pas dit que ça nous fasse changer. Et encore moins le monde. Dire que nous nous comprenons serait excessif. Là n’est pas l’important, justement. Les choses se gâtent quand vous devenez intéressés à coucher ces sujets sur papier. Les traduire en romans ou en essais. Certes, l’exercice n’est pas simple. Il arrive même qu’il soit brillant. Sous réserve que le sujet dont nous parlons ne devienne pas un objet de vide-grenier. Notre moyen de subsister quand nous faisons métier d’écriture. En fait, quand je leur parle, c’est de vous, de moi. Ce sont les miens, voilà c’est dit.

Des jours parfois de silence. Rien à nous dire. De vieux couples en somme. Pas d’humeur. Je leur tourne le dos ou ils s’écartent eux-mêmes. J’ouvre un livre distraitement et le repose sans trop savoir pourquoi. Pour le reprendre aussitôt. Un geste manqué, je suppose. Imaginez une pièce remplie de bouquins collés les uns aux autres. Des nouvelles, des correspondances que nous avons lues à peine une fois et encore par morceaux. Ils se tiennent chaud une fois dans leur vie. Et au milieu, coincées dans des pages de fortune, des lettres ou des photos dont il est impossible de se rappeler qu’elles ont bel et bien existé. Des regards tellement perdus, des lectures si éloignées, des rencontres quasiment ratées. Les couvertures un peu jaunies surtout vues de dos. Des ombres dans cette pièce qui demandent encore, en hésitant beaucoup, à trembler et à parler à voix haute. Elles ont un certain côté pathétique à nous regarder nous débattre entre les succès d’estime ou les échecs avérés. Nos idées fixes. Nos objets familiers, tout bien pesé, si parfaitement identifiables.